Le transfert des territoires arctiques de la Grande-Bretagne au Canada en 1880 et autres sujets reliés, tels que vus dans la correspondance officielle (1961)
L’approbation du décret trois jours plus tard [27 juillet 1880] indique qu’il a été traité sans délai. Étant donné que ce document est incontestablement un des documents principaux relatant les efforts du Canada pour l’acquisition des titres de propriété de ces régions nordiques, il vaut la peine de le reproduire au complet.
« A la Cour, à Osborne House, île de Wight,
31 juillet 1880.
Présents :
Sa Très Excellente Majesté la Reine
Le Lord président
Le Lord intendant
Le Lord chambellan
Attendu qu'il importe que tous les territoires et toutes les possessions britanniques en Amérique du Nord, et les îles voisines de ces territoires et possessions britanniques qui ne sont pas déjà inclus dans le Dominion du Canada, doivent (à l'exception de la colonie de Terre-Neuve et de ses dépendances) être annexés audit Dominion et en faire partie.
Et attendu que le Sénat et la Chambre des communes du Canada réunis en Parlement ont, dans et par une adresse datée du 3 mai 1878, fait valoir à Sa Majesté “qu'il serait souhaitable, une fois réalisé le transfert des territoires en cause, d'octroyer au Parlement du Canada le pouvoir de légiférer pour leur prospérité et leur bon gouvernement futurs et celui de prendre tous règlements nécessaires à cet égard, et que ce parlement s'est déclaré disposé à assumer les fonctions correspondantes”;
Et attendu que la Reine a bien voulu exaucer les vœux formulés dans l'adresse :
Sa Majesté, sur l'avis de Son très honorable Conseil privé, décrète :
Le 1er septembre 1880, le reste des territoires et possessions britanniques d'Amérique du Nord, qui ne sont pas déjà rattachés au Dominion du Canada, et toutes les îles voisines de ces territoires et possessions, sont (à l'exception de la colonie de Terre-Neuve et de ses dépendances) rattachés au Dominion du Canada et assujettis aux lois alors en vigueur dans ledit Dominion et qui leur sont applicables.
(signé) C.L. Peel. » [traduction libre]
[Commentaire]
L’absence de délimitation précise du territoire dans la version finale du décret a soulevé des commentaires et est assurément incompatible avec les tentatives menées antérieurement pour éviter toute ambiguïté. L’Office des colonies s’était assuré du concours de la Compagnie de la Baie d'Hudson, de l’Amirauté et du Gouvernement du Canada ainsi que de son propre personnel afin de déterminer quels territoires arctiques étaient de propriété britannique et, dans l’ensemble de la correspondance, la recherche se poursuit pour trouver une définition exacte des territoires transférés. Cela est aussi évident dans l’adresse commune du 3 mai 1878; de plus, les commentaires des membres pendant le débat indiquent qu’ils percevaient la clarification des frontières nordiques du pays comme un avantage majeur pour le Canada. Quoi qu’il en soit, toutes ces tentatives ont finalement été abandonnées et, dans le décret final, les autorités britanniques ont eu recours à une formulation presque dénuée de sens pour nommer les territoires assujettis au transfert, soit « tous les territoires et toutes les possessions britanniques en Amérique du Nord, qui ne sont pas déjà inclus dans le Dominion du Canada, et toutes les îles voisines de tels territoires et possessions… (à l'exception de la colonie de Terre-Neuve et de ses dépendances) ». Pourquoi le changement?
Ici aussi la réponse, ou une grande partie de cette réponse, semble évidente. King [Ph. D.] suggère que la Grande-Bretagne avait un doute sur la validité de ses titres de propriété sur l’ensemble des terres situées à l’intérieur des limites proposées et qu’elle a donc refusé de faire une délimitation précise malgré son désir de transférer au Canada toutes les possessions qu’elle avait dans cette région. Holmden, qui est plutôt d’accord avec la position de King, observe que les Britanniques ignoraient lesquels parmi leurs territoires arctiques n’étaient pas déjà annexés au Canada et que, de toute façon, il était impossible de faire une définition exacte de territoires encore largement inconnus. Cela explique que le décret ait été intentionnellement rédigé en termes imprécis. Tous ces points sont vérifiés dans la correspondance. Au début les autorités désiraient en effet un libellé précis dans le document et elles n’ont abandonné la partie que lorsqu’il est devenu évident qu’il serait impossible d'obtenir un résultat satisfaisant. De plus, le rapport du 23 janvier 1879 de l’hydrographe de l’Amirauté émet clairement la suggestion que les revendications britanniques s’arrêtent à [la latitude] 78˚ 30’ N. par égard pour les explorations américaines plus au nord. Cette suggestion a fait réfléchir les autorités quant à la sagesse d’une revendication précise. Quoi qu’il en soit, cela représente à peu près le moment où les essais pour l’établissement d’une délimitation précise ont été abandonnés.
[...]
Un évènement ultérieur digne d’intérêt en ce qui concerne notre propos fut la promulgation de l’Imperial Colonial Boundaries Act en 1895. Une copie fut envoyée au Canada, accompagnée d’une copie d’un avis du ministre des Colonies Joseph Chamberlain qui se lit comme suit :
« Les officiers juridiques auprès de la Couronne ayant récemment annoncé que là où une loi impériale a expressément défini les frontières d’une colonie, ou conféré certaines frontières dans la Constitution d’une colonie, un territoire ne peut être annexé à cette colonie de façon à y être entièrement fusionné, par exemple, en étant inclus dans une province ou un district électoral sans fondement législatif, il s’ensuit que certaines annexions de territoire à des colonies se trouvant dans cette catégorie qui ont été touchées par décret ou lettres patentes, accompagnées par des lois des législatures coloniales, étaient d’une fiabilité douteuse et que cette loi fut passée pour valider ces annexions et écarter tout doute quant aux pouvoirs de Sa Majesté dans des causes futures. » [traduction libre]
La loi elle-même est très brève. La phrase principale se lit comme suit :
« Que ce soit avant ou après l’adoption de la Loi, là où les frontières d’une colonie ont été altérées par Sa Majesté la Reine par décret ou lettres patentes, les frontières ainsi altérées seront, et seront considérées l’être à partir de la date de l’altération, les frontières de la colonie. » [traduction libre]
[...]
Les diverses tentatives du Canada pour organiser et délimiter les nouveaux territoires ont commencé en 1895 lorsqu’un décret du Dominion fut passé créant quatre districts provisoires, soient l’Ungava, le Yukon, le Mackenzie et le Franklin, ce dernier incluant l’archipel. À peu près au même moment ou peu après, les expéditions Wakeham, Low et Bernier en Arctique ainsi que l’établissement des postes de police à cheval sur le continent et subséquemment dans les îles constituent le début des longs efforts canadiens pour ramener ses nouveaux territoires sous son administration et sous son contrôle. Cependant, tout ceci sort du cadre du présent article.