Tooktoocheer et son fils Ogzeuckjeuwock racontent à Schwatka avoir trouvé des biens et des dépouilles de membres d’équipages de Franklin [tel que rapporté par Gilder] (1881)
A partir de ce point, notre marche a obtenu les résultats les plus fructueux. Le 4 juin au soir nous avons rencontré un jeune homme nommé Adlekok qui, au cours de l’été précédent, avait trouvé un nouveau cairn érigé par des hommes blancs près de la rivière Pfeffer et qui n’avait jamais été vu par d’autres Inuits. Tout près se trouvaient trois tombes et un campement où il a trouvé une paire de lunettes de neige en fil de fer que nous lui avons achetée. Cette information semblait assez importante pour être vérifiée immédiatement avant que tout autre autochtone trouve le cairn et le dévalise. Conséquemment, le lendemain le lieutenant Schwatka et moi avons pris un traîneau léger et, avec Toolooah comme pilote et Adlekok comme guide, nous nous sommes rendus à cet endroit. Nous avons apporté des rations pour une journée au cas où nous serions retenus pour la nuit et nous sommes partis avec un vent de face et une tempête qui obstruait tout sauf ce qui se trouvait dans le voisinage immédiat du traîneau. Cependant notre guide nous a conduits à travers ce désert de glace vierge sur une distance de plus de vingt-cinq milles sans dévier de la ligne droite même sans soleil ni aucun point de repère pour le guider; il a continué droit devant avec l’instinct infaillible du limier jusqu’à ce que nous rejoignions la terre sur la rive ouest de la rivière Pfeffer. En arrivant au cairn nous l’avons trouvé comme il avait dit, indéniablement "un cairn d’homme blanc", mais avant de le démonter, nous l’avons examiné avec soin et y avons trouvé l’inscription suivante gravée sur une pierre d’argile avec la pointe d’un instrument tranchant,
H MAY XII 1869[H XII MAI 1869]
et sur le côté opposé,
ETERNAL HONOUR TO THE DISCOVERERS OF[HONNEUR ÉTERNEL AUX DÉCOUVREURS]
THE NORTH WE...[DU NORD OUE…]
et nous avons alors su que c’était là le cairn érigé par notre compatriote, le capitaine Hall, sur les ossements de deux des hommes de Franklin qu’il disait avoir trouvés à cet endroit. Une partie de l’inscription a été perdue car le morceau de pierre sur lequel elle était écrite avait été brisé. Nous n’avons pas démantelé le monument, mais après en avoir fait une esquisse rapide, nous sommes retournés au campement, ayant voyagé plus de cinquante milles en dix heures.
A ce campement nous avons trouvé une autre relique intéressante, apparemment une planche de pin qui aurait servi de tête de couchette ou un autre accessoire permanent et avec les initiales "L. F.", façonnées avec d’anciens clous en cuivre. Elle a été ramassée sur la côte ouest de la péninsule Adelaide près de l’endroit où le navire ayant sombré avait dérivé par le détroit de Victoria, et elle pourrait servir à identifier ce navire, se révélant une relique des plus intéressantes et d’une grande importance historique. Au campement suivant, qui était notre dernier arrêt sur le continent, nous avons rencontré une vieille femme nommée Tooktoocheer, la veuve de Pooyetah, qui avait été parmi les premiers à visiter l’endroit de la chaloupe où nous étions il y a quelques jours. Elle nous a un peu déçus comme témoin car elle était si âgée que sa mémoire faisait défaut et ses pensées vagabondaient à divers endroits et elle racontait des circonstances sans explication. Son fils, aussi présent à l’entrevue, avait une douzaine d’années lorsqu’il était allé à la chaloupe avec ses parents et il avait gardé des souvenirs très nets de l’endroit. Son témoignage s’est donc révélé être ce que nous avions espéré de celui de sa mère. Tout le temps qu’il a parlé, la vieille femme était assise et hochait la tête en signe d’approbation alors que les circonstances qu’il relatait lui revenaient en mémoire. Son nom est Ogzenekjenwoek et il est un aruketko ou guérisseur de sa tribu. Les souvenirs de l’endroit de la chaloupe s’étaient imprimés dans son esprit à cause de l’explosion d’une boîte de poudre avec laquelle il avait joué avec un autre garçon après que les articles aient été trouvés. Les conséquences de l’explosion ont presque été mortelles et lorsque je l’ai rencontré à l’automne sur la terre du Roi-Guillaume il m’a dit qu’il ne s’était jamais entièrement remis du choc.
Je donne l’entrevue avec Tooktoocheer et son fils telle que je l’ai notée dans mon carnet à l’époque afin que chaque lecteur puisse en tirer ses propres conclusions. Certaines affirmations paraîtront sans aucun doute étranges, mais dans l’ensemble elles sont parfaitement compréhensibles et excessivement intéressantes. Tooktoocheer a dit qu’elle venait d’Okbillegeok (la baie de Pelly sur les cartes), une partie du pays des Netchilliks. Elle est la veuve de Pooyetah, dont ont parlé sir John Ross et le capitaine Hall. Elle avait environ soixante-dix ans et était tenue en grande estime par son peuple comme le prouvaient tous les soins qu’ils prenaient pour assurer son confort. Elle a dit n’avoir jamais vu aucun des hommes de Franklin vivants, mais qu’elle avait vu six squelettes sur le continent et sur une île voisine – quatre sur le continent et deux sur l’île. Elle a indiqué l’endroit sur la côte sud environ au quatre-vingt quinzième degré de longitude ouest. Il n’y avait aucune tombe à ces deux endroits. Son époux était avec elle à ce moment ainsi que sept autres Inuits. Cela s’est passé lorsqu’elle était à l’endroit de la chaloupe à l’ouest de la pointe Richardson. En fait, elle semblait mélanger les deux endroits dans sa tête et Ogzeuckjeuwock a repris le récit à partir de là. En réponse à la question que nous avions posée à sa mère, il a dit qu’à l’endroit de la chaloupe, il avait vu des livres dans un boîtier en étain d’environ deux pieds de long et un pied carré, qui était scellé et qu’ils l’avaient brisé. Le boîtier était plein. Nous lui avons montré des livres manuscrits et imprimés et il a dit qu’ils étaient comme ceux qui étaient imprimés. Parmi les livres il a trouvé ce qui était probablement l’aiguille d’un compas ou d’un autre instrument magnétique, car il a dit que lorsque l'aiguille touchait du fer, elle y restait collée. La chaloupe était à l’endroit et le boîtier était dans la chaloupe. A l’extérieur de la chaloupe il a vu plusieurs crânes. Il ne se souvenait pas du nombre, mais il a dit qu’il y en avait plus de quatre. Il a aussi vu des ossements de jambes et de bras qui semblaient avoir été sciés. A l’intérieur de la chaloupe se trouvait une boîte remplie d’ossements; la boîte était à peu près de la même grosseur que celle qui contenait les livres.
Il a dit que d’après l’apparence des ossements, les Inuits avaient conclu que les hommes blancs s’étaient mangés les uns les autres. Le peu de chair qui restait sur les os était très fraîche; un corps avait toute sa chair. Les cheveux étaient pâles; le corps semblait être long. Il a vu plusieurs lunettes de neige en fil de fer et près du corps qui avait de la chair il y avait une paire de lunettes en or. (Il a choisi le type de métal à partir de plusieurs types qui lui ont été montrés.) Il a vu plus d’une ou deux paires de telles lunettes mais avait oublié combien. Lorsqu’on lui a demandé depuis combien de temps les corps semblaient être morts, il a répondu qu’ils étaient probablement morts l’hiver ayant précédé l’été où il les a vus. Dans la chaloupe il a vu de la toile et quatre bâtons (une tente ou une voile), il a vu plusieurs montres à fonds transparents; certaines en or mais la plupart en argent. Elles sont toutes perdues aujourd’hui. Elles avaient été données aux enfants comme jouets mais avaient été brisées et perdues. Un corps, celui avec la chair, portait une chaîne en or attachée à des boucles d’oreilles en or et un boîtier de montre de chasse en or guilloché attaché à la chaîne et qui pendait à la hauteur de la taille. Il a dit que lorsqu’il avait tiré sur la chaîne, la tête s’était élevée comme si elle était tirée par les oreilles. Ce corps avait aussi une bague en or sur l’annulaire de la main droite. Elle avait été enlevée et avait depuis été perdue par les enfants de la même manière que les autres choses ont été perdues. Il avait été amené à penser qu’ils s’étaient mangés les uns les autres parce que les os avaient été coupés avec un couteau ou une scie. Ils ont trouvé une grosse scie et une petite dans la chaloupe; aussi une grosse boîte rouge de tabac et quelques pipes. Il n’y avait pas de cairn à cet endroit. Les os sont maintenant couverts de sable et d’algues, car ils se trouvaient à hauteur de la marée haute. Quelques livres avaient été rapportés à la maison comme jouets pour les enfants et ils ont finalement été déchirés et perdus et d’autres étaient éparpillés dans les roches jusqu’à ce qu’ils soient dispersés par le vent et perdus ou enterrés sous le sable.
Son affirmation en référence à un des morts portant une montre attachée par une chaîne à ses oreilles peut paraître étrange, mais je rapporte ses paroles comme il les a dites. La chaîne aurait pu se prendre aux oreilles d’une façon ou d’une autre, ou, aussi ridicule que cela puisse paraître, il y avait peut-être un excentrique dans le groupe qui portait sa montre de cette façon; et si tel était le cas, cela permettrait sans aucun doute de l’identifier. Pendant que la vieille femme était assise dans notre igloo pour faire l’entrevue ou tenter de se souvenir des circonstances, j’ai réussi à produire une bonne esquisse qui a suscité beaucoup d’intérêt de la part des autochtones et Ogzeuckjeuwock qui, vers la fin de l’entrevue commençait à montrer des signes d’impatience, s’est rapidement retourné dès que j’ai eu terminé et m’a demandé de faire aussi son portrait, ce que j’ai accepté, à son grand plaisir.
A la relecture, ces témoignages semblent confirmer l’idée que les squelettes trouvés à cet endroit étaient les dépouilles de certains membres du groupe qui avait été vu par Ahlangyah et ses amis à la baie de Washington. Elle avait dit que "Toolooah", "Agloocar" et "Doktook" portaient des lunettes et des lunettes ont été trouvées à l’endroit de la chaloupe. Des montres en or ayant été trouvées, c’est aussi une preuve qu’il y avait des officiers dans le groupe. Il est probable que les cinq hommes qui avaient une tente sur le rivage près des tupics des Inuits étaient tous des officiers. Il est aussi très naturel de déduire que les livres trouvés dans un boîtier en fer-blanc scellé ou fermé, qui a été brisé par les autochtones, étaient les documents les plus importants de l’expédition et sous la responsabilité des officiers les plus hauts gradés parmi les survivants, car il est improbable que des hommes réduits à une telle extrémité et obligés de traîner leurs possessions à pied se seraient encombrés de lectures variées. A en juger par les reliques obtenues, la chaloupe devait être lourde et à fond en cuivre, car la plupart des marmites trouvées chez les Netchelliks étaient en feuille de cuivre et provenaient, ont-ils dit, de l’une ou l’autre des deux chaloupes dans la baie d’Erebus. Mais la chaloupe était d’une nécessité absolue et ne pouvait être abandonnée. Il ne fait aucun doute, cependant, que tout ce qui était superflu avait été abandonné au fil du temps jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien dont ils pouvaient se passer et, les livres qu’ils avaient, autres que l’almanach marin et les éphémérides, si même ils les avaient transportés dans ces circonstances, étaient probablement les documents les plus importants de l’expédition.