La revendication d’Amundsen quant au passage du Nord-Ouest (1975)
Comme l’été 1905 avançait, Amundsen a décidé que le temps était venu de reprendre la route. L’équipement scientifique qui, depuis dix-neuf mois, enregistrait les données magnétiques, a été démantelé et empaqueté. Les Esquimaux ont reçu des cadeaux inestimables comme des boîtes vides de fer-blanc et divers morceaux de bois. Un traîneau de rechange a été donné à une famille qui avait un fils handicapé que ses parents tiraient sur une peau de phoque depuis des années. Le jeune homme, qui avait la réputation d’être un sorcier, a donné à Amundsen son bandeau magique en peau de daim pour le remercier. Lorsqu’il avait quitté l’Observatoire maritime allemand à Hambourg, Amundsen avait promis au professeur Neumayer de laisser sa photo aussi près du Nord magnétique que possible. Cette promesse fut dûment remplie à un moment où aucun Esquimau curieux n’était présent. Comme juin tirait à sa fin, le temps s’est réchauffé, la neige a fondu et des canaux ont commencé à s’ouvrir dans la glace. Tous les présages annonçaient une aussi bonne année pour la navigation que celle de 1903. A la fin de juillet un étang d’eau fraîche près du bateau a tenu lieu de piscine. Les Esquimaux ont regardé avec stupéfaction, mais n’ont pas tenté d’imiter les blancs qui étaient fous à n’en pas douter. Un Esquimau qu’ils avaient l’intention de ramener au pays avec eux a eu une crise de nerfs à la dernière minute: il avait peur d’être tué par les blancs. Lorsque Amundsen a soutenu que, bien au contraire, les Kablunas étaient des anges de bienveillance, l’Esquimau a montré du doigt les terribles photos de la guerre des Boers qu’il avait vues dans un magazine illustré dans la cabine du navire. Après cela, un autre Esquimau s’est porté volontaire pour le poste d’homme blanc honoraire et on lui a alors fait un récurage protocolaire et on l’a saupoudré d’insecticide. Lorsque tout fut prêt pour le départ, le port était libre de glaces et la glace dans le détroit de Rae était bleue, indiquant une fonte prochaine. Le 13 août le Gjōa a pris la mer vers l’ouest. Le vent venait du nord-est et brisait la glace.
Amundsen était lancé – comme il a dit – sur le plus fascinant de tous les problèmes d’exploration depuis les débuts de l’humanité, la découverte du passage du Nord-Ouest. Le temps était mauvais – une brume épaisse et un vent contraire et changeant. Dix brasses et un fond sec, avait rapporté le sondeur. À la pointe Booth ils se sont arrêtés devant de grosses masses de glace dérivant vers eux. Lorsque la brume s’est levée, ils ont vu des îles à l’ouest avec de l’eau claire au-delà. Dans le détroit de Victoria il y avait des bancs de glace d’une rive à l’autre mais la glace était assez détachée pour qu’ils puissent passer. Avançant avec précaution d’un archipel à l’autre, guidé par un homme posté dans le nid-de-corbeau pour signaler la présence de récifs sous l’eau, Amundsen a tracé un parcours tortueux autour de l’île du Roi-Guillaume. Le canal changeait rapidement de profondeur, passant de bas-fonds à haut-fonds, de dix-sept brasses à cinq. Le sondeur et la vigie sonnaient et criaient, regardaient et signalaient, le tout dans une agitation constante, heure après heure, sans repos. À la barre, Amundsen, son cœur battant la chamade, traduisait rapidement les renseignements que lui envoyaient ses hommes en changements de parcours. Un homme se tenait prêt à mouiller l’ancre si l’eau devenait trop peu profonde. Après avoir réussi à se frayer un chemin dans un chaos de rochers pointus en hauts-fonds, ils ont enfin laissé les îles derrière. Le 17 août, ils ont mouillé l’ancre sur la côte ouest du cap Colbourne au sud de la terre de Victoria. De là, ils entreraient dans des eaux que les navires provenant de l’ouest avaient traversées. Ils avaient navigué à travers la section inexplorée du passage du Nord-Ouest.