L’opinion de sir John Ross au comte de Haddington [à propos de l’expédition arctique] (1845)

Ellis Place

Blackheath

25 janvier 1845

Monsieur le Comte,

Conformément aux instructions de Votre Seigneurie je mets par écrit mes réponses aux nombreuses questions que Votre Seigneurie m’a fait l’honneur de me poser ce matin concernant la praticabilité d’un passage du Nord-Ouest et les avantages qui pourraient découler d’une nouvelle tentative. J’ai déjà si souvent formulé mon opinion en faveur de cet objectif important dans plusieurs lettres que j’ai fait parvenir de temps à temps aux Lords Commissaires de l’Amirauté depuis que je suis revenu de ma dernière tentative de ce type en 1833, que pour un exposé détaillé des nombreux points à l’étude, je me permets de référer Votre Seigneurie spécifiquement à celles du 6 février 1838 et du 22 janvier 1836 dont j’inclus respectueusement les extraits suivants.

1. Grâce à la facilité avec laquelle sir Edward Parry a poussé plus loin ses découvertes à l’extrémité occidentale de l’île Melville et aux visites annuelles des baleiniers aux baies et aux criques à l’ouest de l’île Léopold, nous savons que le détroit de Barrow est rarement ou peu obstrué par les glaces. Conséquemment, une fois traversé le détroit de Lancaster, la route la plus souhaitable que devrait prendre une prochaine expédition serait de continuer directement vers l’ouest, ne prenant en considération aucune des plus petites ouvertures terrestres sur la rive septentrionale du détroit de Barrow avant d’avoir dépassé le cap Walker. Entre ce cap et l’extrémité orientale de la terre de Banks se trouve un espace libre de 300 milles. Laissez l’expédition prendre ensuite la première occasion permettant de tourner au SO ou là où les îles et les glaces le permettent jusqu’à la rive orientale de la terre de Banks : alors, ainsi protégé du courant venant de l’est et de la pression des glaces du nord-ouest, il ne devrait y avoir aucune difficulté dans des conditions normales pour rejoindre la rive septentrionale du continent américain jusqu’à l’ouest de la terre de Wollaston, une distance qui n’excède pas 200 milles. Ce détroit représente la seule partie douteuse ou incertaine du voyage s’il devait y avoir un seul doute à ce sujet et alors atteint, le passage peut être difficile à accomplir; par la suite l’expédition devrait continuer le long d’une rive bien connue sur toute sa distance jusqu’au détroit de Béring et nous avons le témoignage de sir John Franklin et du Dr Richardson prouvant la facilité avec laquelle les bateaux peuvent naviguer tout au long de cette côte.

Deuxièmement. Dans l’éventualité où l’état des glaces serait peu propice à la poursuite de la route ci-haut mentionnée, près du canal Wellington apparaît un endroit propice qui, lors de la première expédition d’Edward Parry semblait si invitant qu’il serait peut-être judicieux de continuer dans cette direction spécialement lorsque des hommes de sciences et les recherches récentes du baron Wrangel au nord de l’Asie semblent confirmer qu’il y aurait moins d’obstacles causés par les glaces dans les très hautes latitudes nordiques que par une navigation plus restreinte au sud. De plus, en poursuivant cette route, si l’expédition se voyait forcée de passer l’hiver en hautes latitudes, il pourrait être possible au printemps suivant, en voyageant sur les glaces avant la débâcle, de se rendre à une latitude beaucoup plus haute que celle déjà atteinte ou même jusqu’au pôle de la Terre. Cet objectif avait été considéré comme assez important d’un point de vue scientifique pour s’assurer d’avoir l’équipement requis lors d’une expédition en 1827 dont l’objectif précis était de prouver ce point et cette expédition a démontré que pour réaliser ce désir, il faudrait retourner dans ces régions.

Troisièmement, les avantages dont a bénéficié ce pays en raison des différentes expéditions de découverte ainsi menées ne sont généralement pas dissociés de la vaste étendue de connaissances géographiques et des importants résultats scientifiques acquis; c’est un fait que depuis plusieurs années plus d’un demi-million de produits alimentaires ont été rapportés annuellement des stations de pêche récemment découvertes sur la côte occidentale de la baie de Baffin, du détroit de Lancaster et de la crique du Régent - fournissant ainsi une nouvelle source de richesse nationale et d’emplois à nos navires et à nos marins et remboursant grâce à l’augmentation des taxes plus du double des dépenses encourues. En effet, il peut être dit que dans n’importe quelle des dix premières années suivant leur découverte, ces pêcheries ont produit un rendement plus que suffisant pour rembourser à la nation la totalité de sa mise de fonds pour l’équipement des diverses expéditions qui ont été dépêchées dans ce but.

Au moment de ces expéditions, aucun bénéfice collectif ne pouvait être anticipé : et ainsi on ne peut savoir avec certitude quels nouveaux bénéfices pourraient découler d’une autre expédition. Pourtant dans chaque cas, nous savons que des entreprises communautaires britanniques ont suivi de près une découverte de la marine britannique et nous savons aussi que les connaissances de cette nature sont éventuellement bénéfiques à l’humanité. Il y a aussi en ce moment plusieurs officiers qui ont pris part aux voyages précédents et qui sont prêts à s’engager dans une telle entreprise et dont l’expérience, si importante pour naviguer avec succès dans les glaces, serait un grand avantage pour une telle expédition. Les comptes rendus favorables que j’ai aussi reçus de ceux qui ont participé à la pêche à la baleine à la baie de Baffin l’été dernier, affirmant « qu’on ne voyait pas de glace et que les navires pouvaient naviguer où ils le voulaient », constituent une raison pour laquelle la présente période pourrait être perçue comme étant favorable à la poursuite de cet objectif et à sa réussite finale. Mais par-dessus tout, d’un point de vue scientifique, les observations intéressantes et importantes du magnétisme terrestre qui seraient faites si près d’un des pôles magnétiques pourraient bénéficier des nombreuses observations du magnétisme terrestre qui ont cours grâce à l’influence du gouvernement britannique pour une période limitée dans presque toutes les parties civilisées du globe et qui cesseront à la fin de la présente année.

Le prochain extrait du mémoire de monsieur Baer à l’Académie impériale démontre en effet les appréhensions exprimées depuis quelque temps à l’effet que l’Angleterre sera privée de l’honneur de terminer ce qu’elle a si noblement commencé et mené sans aucune hésitation - Il dit « Le drapeau anglais a flotté seul au-dessus des rives nordiques de l’Amérique; celui de la Russie sur celles de la Sibérie; les deux nations pourraient gagner, par leur travail ardu et leur persévérance, l’admiration de la postérité, et aujourd’hui des nations européennes portent un regard anxieux pour savoir qui naviguera la partie inexplorée de la côte septentrionale de l’Amérique.[»]

Permettez-moi d’ajouter que l’Angleterre ne doit pas abandonner maintenant la préséance glorieuse qu’elle a maintenue depuis toujours en tout ce qui est relié à l’extension des connaissances géographiques de la mer de Beaufort- : mais qu’en poursuivant plus loin un objectif si hautement désirable à la nature britannique, la gloire de cette réalisation pourrait être réservée à notre seul pays.

Je demeure, monsieur le Comte, le serviteur dévoué

de Votre Seigneurie

John Ross Capt. R.N.

Illustrations des sources (8)

À propos de ce document

  • Auteur: John Ross
  • Archive: National Archives, Kew, United Kingdom
  • Collection: Admiralty 7/187 Admiralty: Miscellanea. Arctic and Antarctic explorations. Documents relating to Arctic Expeditions
  • Date: 25 janvier 1845
  • Page(s): 1-8
Sunken ship