Description des effroyables découvertes de Rae (1854)
York Factory, baie d’Hudson, 1er septembre 1854.
Monsieur,
J’AI l’honneur d’informer le Gouverneur, le Gouverneur adjoint et le Comité de mon arrivée ici hier avec mon groupe, tous en bonne santé, mais pour des raisons qui seront fournies aux endroits appropriés de ce rapport, sans avoir réalisé l’objectif de l’expédition car, au cours de cette période, j’ai obtenu des renseignements des Autochtones et je leur ai acheté des articles qui prouvent sans l’ombre d’un doute qu’une partie, sinon tous les survivants, de la malheureuse expédition depuis longtemps disparue de sir John Franklin ont connu une fin aussi triste et horrible qui puisse être imaginée.
[...]
20 avril. Des traces fraîches d’Esquimaux et d’un traîneau ayant été vues hier sur la glace près de l’endroit où nous nous sommes reposés, l’interprète et un homme ont été envoyés pour les retrouver, les deux autres étant occupés à chasser et à trouver du combustible pendant que j’obtenais d’excellentes observations, soient une latitude de 68˚ 29' 28" N., une longitude par chronomètre de 90˚ 18' 32" O., la variation du compas de 98˚ 30' O. Cette dernière observation semble erronée, probablement à cause de l’importance de la force d’attraction à cet endroit.
Après une absence de onze heures les hommes partis à la recherche des Esquimaux sont revenus avec dix-sept Autochtones (dont cinq femmes) dont plusieurs se trouvaient à la baie de Repulse lors de mon passage en 1847. La plupart des autres n’avaient jamais vu de "blancs" avant et se comportaient de manière extrêmement effrontée et incommodante. Ils ne nous fournissaient aucune information digne de confiance et aucun ne voulait nous accompagner pour un jour ou deux même avec la promesse de belles récompenses. Ils semblaient s’opposer au fait que nous voulions traverser la région en direction ouest. Comme ils semblaient vouloir mystifier l’interprète et nous induire en erreur, j’ai refusé d’acheter plus qu’un morceau de phoque et je les ai renvoyés, mais avec quelques difficultés, car ils traînaient dans l’espoir de voler quelque chose et, malgré notre vigilance, ont réussi à dérober quelques livres de biscuits et de la graisse d’un de nos traîneaux.
Il faisait très beau le matin du 21 et, à 3 h du matin, nous sommes partis par voie terrestre vers une colline très visible à l’ouest de notre position. Sur une élévation rocailleuse à quelques milles de la côte, nous avons bâti une "cache" et y avons déposé la viande de phoque que nous avions achetée. Pendant ce temps notre interprète a tenté de rejoindre ses compatriotes; heureusement son absence fut observée avant qu’il n’ait le temps d’aller bien loin et il a été pris après une course soudaine de quatre ou cinq milles. Il était très craintif lorsque nous l’avons retrouvé et il pleurait comme un enfant, mais il a exprimé son empressement à revenir et a utilisé la maladie comme excuse pour son comportement. Je crois qu’il était réellement malade, probablement parce qu’il avait mangé trop de viande de phoque bouillie dont les autochtones l’avaient régalé dans les huttes de neige.
Après avoir déchargé une partie de la marchandise du traîneau d’Ouligbuck, nous avions à peine repris notre voyage que nous avons rencontré un Esquimau très intelligent conduisant un traîneau à chiens chargé de bœuf musqué. Cet homme a immédiatement accepté de nous accompagner pour un voyage de deux jours et en quelques minutes il avait déposé son chargement sur la neige et était prêt à se joindre à nous. Lui ayant expliqué mon objectif, il a dit que la route d’où il venait était la meilleure et, ayant allégé les traîneaux des hommes, nous avons voyagé plus facilement. Puis un autre autochtone s’est joint à nous; il s’était absenté la veille pour chasser le phoque mais comme il tenait beaucoup à nous voir, il était allé à notre maison de neige tôt ce matin et avait ensuite suivi nos traces. Cet homme était très communicatif et alors qu’on lui posait les questions usuelles, c’est-à-dire s’il avait déjà vu des "hommes blancs" ou des navires ou des chaloupes, il a répondu par la négative, mais il a dit qu’un groupe de "Kabloonans" était mort de faim loin à l’ouest d’où nous étions, au-delà d’une grande rivière. Il a affirmé ne pas savoir l’endroit exact, qu’il n’y était jamais allé et qu’il ne pouvait nous accompagner aussi loin.
Voici en substance l’information obtenue à divers moments et de plusieurs sources :
Au printemps, il y a quatre hivers (1850), alors que quelques familles esquimaudes chassaient le phoque près de la rive nord d’une grande île nommée terre du Roi-Guillaume sur les cartes d’Arrowsmith, environ quarante hommes blancs ont été vus voyageant ensemble sur la glace vers le sud, traînant une chaloupe et des traîneaux. Ils progressaient le long de la rive ouest de l’île mentionnée plus haut. Aucun d’entre eux ne pouvait parler la langue esquimaude assez bien pour être compris, mais par signes les autochtones ont pensé comprendre que le navire ou les navires avaient été écrasés par les glaces et qu’ils tentaient de se rendre à un endroit où ils pensaient trouver des chevreuils pour se nourrir. D’après l’apparence de ces hommes (qui tous, à l’exception d’un officier, se traînaient en tenant les cordages d’un traîneau et avaient l’air émaciés), il semble que les provisions commençaient à manquer et ils auraient alors acheté un petit phoque ou une partie d’un phoque des autochtones. L’officier était décrit comme un homme d’âge moyen grand et corpulent. A la fin de la journée, ils montaient des tentes pour y dormir.
Plus tard au cours de la même saison, mais avant le dégel, les corps d’une trentaine de personnes et des tombes ont été découverts sur le continent et cinq corps sur une île tout près, à environ une longue journée au nord-ouest de l’embouchure d’un large ruisseau qui ne peut être autre que la grande rivière à poisson qu’a nommée Back [rivière Back] (et nommé Oot-koo-hi-ca-lik par les Esquimaux), car sa description et celle d’un rivage assez bas près de la pointe Ogle et de l’île de Montréal correspondent exactement à celle faite par sir George Back. Certains corps étaient dans une ou des tentes, d’autres sous une chaloupe qui avait été retournée pour former un abri et d’autres étaient éparpillés dans des directions diverses. Sur l’île, il y aurait eu le corps d’un officier (chef), car il avait un télescope à l’épaule et il était couché sur son fusil à double canon.
D’après les mutilations de plusieurs corps et le contenu des marmites, il est évident que nos infortunés compatriotes ont dû se résoudre à la dernière ressource pour tenter de survivre. Un petit nombre de ces malheureux a dû survivre jusqu’à l’arrivée du gibier (disons jusqu’à la fin de mai), car des coups ont été entendus et des os frais ainsi que des plumes d’oie ont été vus près de la scène du malheureux évènement.
Il semble qu’ils avaient beaucoup de munitions; les autochtones avaient vidé au sol la poudre des barils ou des caisses; et plusieurs plombs et balles ont été trouvés sous la marque de la marée haute, ayant probablement été laissés sur la glace près de la plage avant le dégel du printemps. Il devait y avoir plusieurs télescopes, des fusils (plusieurs à double canon), des montres, des compas, etc., tout cela semblant avoir été brisé, car j’ai vu des pièces de ces différents articles sur les autochtones et j’en ai acheté autant que je pouvais ainsi que des cuillères et des fourchettes en argent, un ordre du mérite en forme d’étoile et un petit plateau en argent sur lequel était gravé Sir John Franklin, K.C.H.
Ci-joint une liste des principaux articles achetés, incluant les initiales et un dessin à la plume des armoiries sur les fourchettes et les cuillères. J’aurai l’honneur de vous transmettre ces articles moi-même à mon arrivée à Londres.
Aucun des Esquimaux à qui j’ai parlé n’avait vu les "hommes blancs" vivants ou morts, ni n’était allé à l’endroit où les corps ont été trouvés, mais ils tenaient leurs renseignements d’autochtones qui y étaient et qui avaient vu le groupe voyageant sur la glace. D’après ce que j’ai appris, il n’y a aucune raison de soupçonner que les autochtones auraient fait subir quelque violence que ce soit aux victimes.
Comme les chiens de traîneau étaient fatigués avant de se joindre à nous, notre voyage cette journée-là fut de courte durée. Nous avons bâti notre maison de neige à la latitude 68˚ 29' N. et longitude 90˚ 42' 42" O. sur le lit d’une rivière avec de hautes berges de boue et qui se déverse du côté ouest de la baie de Pelly à une latitude d’environ 68˚ 47' N. et une longitude 90˚ 25' O.
Le 22 nous avons continué le long de la rive nord de la rivière (que j’ai nommée en l’honneur du capitaine Beecher de l’Amirauté) en direction ouest pour sept ou huit milles jusqu’à ce que nous arrivions à la hauteur d’une haute colline avec une forme particulière, à laquelle j’ai déjà fait allusion et que j’ai nommée Montagne Ellice; nous avons alors viré plus au nord. Nous sommes rapidement arrivés à un lac étroit et nous y avons établi notre campement à quelques milles de son extrémité est, ayant marché un peu plus de treize milles durant notre journée. Nos aides esquimaux étaient impatients de rentrer, craignant ou prétendant craindre, que les loups ou les carcajous trouvent leur "cache" de viande et la détruisent. Après avoir été largement rétribués pour leur aide et leurs renseignements et après des adieux très cordiaux, ils sont repartis chez eux alors que nous nous préparions à nous coucher.
[...]
Le 6 mai, notre hutte de neige était sur la pointe de la Guiche et, ayant pu prendre de bonnes observations, nous étions à la latitude 68˚ 57' 52" N. et longitude 94˚ 21' 58" O. Un de mes hommes, Mistegan, un Indien très intelligent et très actif, fut envoyé six milles le long de la côte vers le nord. En escaladant de la glace rugueuse à son extrémité, il pouvait voir un autre cinq milles. La terre se dirigeait toujours vers le nord alors qu’au nord-ouest; à une distance considérable, peut-être douze ou quatorze milles, il semblait y avoir une terre; le canal entre cette terre et le point où il se tenait était rempli de glaces rugueuses. Cette terre, si c’en était une, fait probablement partie de l’île Matty, ou terre du Roi-Guillaume, cette dernière étant clairement une île.
[...]
L’isthme qui sépare les baies de Pelly et de Shepherd est d’une largeur d’au moins soixante milles géographiques.
Ce soir-là, avant de quitter nos assistants esquimaux, nous avons acheté un de leurs chiens et après des adieux très cordiaux nous sommes repartis vers l’est et avons trouvé sur un lac long une vieille maison de neige qui nous a servi de gîte. De bonnes observations nous ont situés à la latitude 68˚ 12' 18" N. et longitude 89˚ 24' 51" O., variation 81˚ O.
Au matin du 21 nous sommes arrivés à la baie Committee; à partir de cet endroit notre route pour se rendre à la baie de Repulse était presque identique à la dernière; je ne vais donc pas la relater de nouveau, sauf pour mentionner que nous sommes arrivés à notre résidence hivernale à 5 du matin le 26 mai ayant voyagé en vingt jours, la plupart du temps à pied, une distance (moins de quarante ou cinquante milles) qui nous avait pris trente-six jours en sens inverse.
[...]
De cette date jusqu’en août, j’ai eu quelques occasions de questionner les Esquimaux sur l’information obtenue sur le groupe de blancs qui étaient morts de faim et de découvrir les détails reliés à ce triste évènement, dont j’ai déjà relaté le contenu.
Au début juillet, le saumon est arrivé de la mer aux embouchures des rivières et des ruisseaux qui étaient ouverts à ce moment et nous en avons attrapé plusieurs; nous pouvions ainsi nous permettre occasionnellement d’en offrir une cinquantaine ou une centaine en une nuit à nos amis autochtones. Comme cela se fait aux postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson, toutes ces provisions ont été données gratuitement et reçues avec beaucoup plus de gratitude par les Esquimaux que par les hommes rouges résidant plus au sud et qui sont plus privilégiés.
Nous avions encore la moitié de nos réserves de trois mois de pemican [sic] et assez de munitions pour passer un autre hiver. Nous étions tous en excellente santé et nous pouvions obtenir autant de chiens que nécessaire et ainsi (D.V.) il n’y avait donc aucun doute que nous pouvions réussir à terminer notre levé lors d’un deuxième essai; mais j’ai alors pensé que j’avais un devoir plus important à remplir, ce devoir étant de communiquer le plus rapidement possible les tristes nouvelles que j’avais entendues et de prévenir le risque que d’autres vies soient mises en danger lors d’une recherche stérile dans une direction où il n’y avait pas le moindre espoir d’obtenir de l’information. J’espère que cela sera considéré comme une raison suffisante pour mon retour.
L’été étant glacial et tardif, nous n’avons pas pu quitter la baie de Repulse avant le 4 août et le 6, après de nombreuses difficultés, nous avons contourné le cap Hope. De là, jusqu’au cap Fullerton, le détroit entre l’île Southampton et le continent était rempli de glaces, nous causant de nombreux problèmes. Nous avons atteint l’eau libre au sud du cap Fullerton. Le 19 au soir des vents calmes et contraires nous ont retardés et nous n’avons pu pénétrer le fleuve Churchill qu’au matin du 28 août; nous y avons été détenus toute la journée par une tempête de vent. Mon bon interprète, Wm. Ouligbuck, a été transféré à terre et avant de lui faire mes adieux je lui ai présenté un magnifique couteau de chasse que m’avait confié le capitaine sir George Back à l’intention de son ancien compagnon de voyage, Ouligbuck, mais comme le vieil homme était mort je me suis permis de le donner à son fils dans le but d’entretenir de bonnes relations si ses services devaient être de nouveau requis.
Une traversée de trois jours nous à menés à York Factory où nous sommes débarqués l’avant-midi du 31 août. Je suis heureux de dire que la conduite de mes hommes, en des circonstances souvent très éprouvantes, a été généralement bonne et digne d’éloges; et bien que leurs gages aient été plus élevés que ceux de tout autre groupe utilisé lors d’expéditions en chaloupes, j’ai pensé, après avoir consulté mon facteur en chef William Mactavish, qu’il serait bien de leur donner chacun une petite prime au mérite.
Pour terminer, je me dois d’exprimer mon regret de n’avoir pu terminer avec succès l’expédition que j’avais moi-même planifiée, mais afin d’atténuer mon échec j’aimerais mentionner que j’ai rencontré des obstacles beaucoup plus sévères que les tempêtes et les glaces habituelles que mes expériences passées en Arctique ne m’avaient pas permis d’anticiper.
Veuillez accepter, etc.
(Signé) JOHN RAE, C.F.
Me Archibald Barclay,
Secrétaire,
Maison de la Baie d’Hudson, Londres.
1 fourchette de table en argent | - - - - | Armoirie no 1 |
4 " " do. | - - - - | " 2. |
1 " " do. | Motto, "Spero meliora"- | " 4. |
2 " " do. | - - - - | " 5. |
1 " dessert do. | - - - - | " 5. |
1 " table do. avec intiales | - - | H.D.S.G. |
1 " " do. " | - - - | A. McD. |
1 " " do. " | - - - | G.A.M. |
1 " " do. " | - - - | J.T. |
1 " " cuillère | - - - - | Armoirie no. 3. |
1 " " do. | Motto, "Spero meliora"- | " 4. |
1 " " do. | - - - - | " 5. |
1 " à thé do. | - - - - | " 5. |
1 " " do., initiales | - - - | J.S.P. |
1 à dessert do. " | - - - | J.S.P. |
1 " " do. " | - - - | G.G. |
1 plateau rond en argent. Sir John Franklin, K.C.H. |
1 étoile ou ordre. |
Un boîtier en 2 pièces pour une montre en or. |
1 boîtier, argenté sur tranche, chronomètre et cadran de poche. |
7 pièces, boîtiers pour montres en argent. |
Un petit porte-plume en argent. |
1 morceau d’un tube en argent. |
1 morceau d’un instrument optique. |
1 vieille bande en or de calot |
2 pièces (environ 2 pouces) d’une chaîne pour une montre en or. |
2 souverains. |
1 demi-couronne. |
4 shillings. |
2 feuillets d’un manuel d’étudiant. |
1 couteau de chirurgien. |
1 scalpel. |
2 couteaux. |
1 ditto, de femme ou de cordonnier. |
1 boitier pour un compas de poche. |
1 manche en ivoire pour un couteau de table, marqué "Hickey". |
1 petite boîte en fer, marquée "Fowler". |
1 " " boîte. Pas de couvercle. W.M. |
Divers articles sans valeur. |