Le Dr. Rae sur le cannibalisme (1884)
LE CANNABILISME DANS LES MERS ARCTIQUES.
Lettre du Dr. J. Rae à l’éditeur du London Standard.
CELA ÉTAIT PROBABLEMENT LA PRATIQUE DES HOMMES DE FRANKLIN.
Dans un article à la une du Standard du 13 de ce mois portant sur les horribles révélations au sujet de la récente expédition Greely, l’auteur exprime son espoir que ces accusations se révèleront aussi sans fondement que ne l’étaient celles qui avaient été faites sur la malheureuse expédition Franklin. Mon désir n’est pas de raviver une si triste histoire, mais je verrais comme un geste d’une très grande bonté envers moi (étant moi-même concerné) si l’auteur de l’article ou qui que ce soit d’autre pouvait m’informer des preuves que les récits de cannibalisme pratiqué par certains membres du groupe de Franklin sont "sans fondement". J’ai lu avec attention tout ce qui a été écrit sur le sujet, par Dickens et tous les autres, et je n’ai à peu près rien trouvé qui justifie votre affirmation. La vérité, c’est qu’il y a eu un grand nombre de calomnies faites sur un peuple dont les auteurs ne savent rien, les Esquimaux, un peuple que Parry, ce grand homme honnête et brillant, après deux années d’expérience, a qualifié de peuple le plus honnête et le plus franc qu’il ait jamais rencontré, ce qui correspond à ma propre expérience, un peuple qui remporte les honneurs lorsque comparé à ceux qui ont diffusé des mensonges, des faussetés et des malhonnêtetés parmi les classes civilisées et qui sont très peu nombreux à mériter la confiance que j’accorderais au soi-disant sauvage esquimau. Si vous, monsieur, ou tout autre homme honnête et intelligent, aviez entendu, comme je l’ai fait, le récit de mes amis les Esquimaux sur les morts de l’expédition Franklin, récit qui m’a été communiqué par mon interprète, un homme très efficace, vous auriez été forcé d’accepter qu’ils vous disaient la vérité. Même John Beads, l’homme que j’avais laissé en charge des quartiers d’hiver, a été informé par signes (Beads ne connaissait pas la langue esquimaude) par les Autochtones qui lui ont rendu visite pendant mon absence.
L’article dit que la discipline aurait empêché les hommes d’avoir recours au cannibalisme. Je pense qu’il n’existe aucune discipline qui pourrait éradiquer cette sensation aiguë de manque et qu’il est très facile pour ceux qui n’ont probablement jamais passé 24 heures de leur vie sans aucune nourriture de s’étendre sur le sujet d’un ton très indigné. S’ils avaient passé des jours, comme je l’ai fait, à vivre ou plutôt à subsister sur le plus petit morceau de peau et d’os, à déguster la nourriture la plus dégoûtante jamais vue comme si c’était le mets le plus raffiné, s’ils avaient seulement été témoins des souffrances et des besoins insatiables de certains de mes meilleurs compagnons pendant ces temps de privations, ils auraient au moins une certaine familiarité avec la famine. Dieu merci! Je n’ai jamais eu à souffrir outre mesure des sensations les plus pénibles de la faim, ayant toujours été capable de tirer aussi calmement sur tout gibier qui se présentait que lorsque je ne manquais pas de provisions.
Je me sens obligé de dire tout ce que j’ai entendu, même si cela est désagréable et inacceptable. Un officier de la marine qui a vérifié et corroboré presque tous les détails que j’avais obtenus, même la partie la plus triste, a été plus politique – ou plus méchant. Des années plus tard, l’Américain Schwatka a entendu la même histoire qu’on m’avait racontée dans presque les mêmes mots. Un amiral bien connu a déjà dit à mon sujet que "Rae dirait la vérité, même si cela lui causait du tort". Cela semblait une chose inhabituelle pour l’amiral bien que cela soit très simple et naturel pour moi. Dans l’affaire du cannibalisme au sein du groupe de Franklin, dire la vérité était certainement la chose la plus simple et la meilleure qui pouvait être faite, car le récit aurait certainement été raconté un jour par mes hommes qui en avaient appris autant que moi en parlant avec l’interprète et cette même personne qui m’a attaqué parce que j’avais raconté cette histoire aurait été tout aussi prête et aurait eu une bien meilleure raison de s’attaquer à moi si j’avais caché les faits. Je répète qu’il y a eu du cannibalisme parmi les membres du groupe de Greely aussi sûrement qu’il y en a eu parmi certaines gens de Franklin, et il y en a eu parmi ces derniers aussi sûrement que je suis assis ici en train d’écrire ces mots en ce moment.