L’opinion de sir Edward Parry au comte de Haddington [à propos de l’expédition arctique (1845)
Amirauté
18 janvier 1845
Monsieur le Comte
En réponse aux questions que Votre Seigneurie m’a fait l’honneur de me poser sur le passage du Nord-Ouest entre l’Atlantique et le Pacifique, permettez-moi de vous offrir les observations suivantes.
Concernant la possibilité d’atteindre ce but longtemps désiré, je pense que la probabilité de réussite est aujourd’hui beaucoup plus élevée qu’elle ne le fut lors de toute autre tentative dans le passé.
Lorsque, en 1818, cette question longtemps en dormance fut de nouveau reprise et qu’un nouvel essai fut effectué, il était fréquent d’entendre les doutes exprimés au sujet de l’existence d'un tel passage. Même les personnes bien informées se livraient à des conjectures se demandant si, d’un point de vue géographique, nous ne serions pas déçus de découvrir qu’il n’y avait aucune issue par le détroit d’Hudson ou la baie de Baffin vers la mer polaire par la côte septentrionale de l’Amérique; ne découvrirait-on pas un jour que le continent s’étirait loin au nord dans quelque partie de ce grand espace laissé vacant sur les cartes; et, ne serait-il pas finalement prouvé qu’il n’existe aucune issue dans le Pacifique par l’ouverture appelée le détroit de Béring.
Les expéditions par mer dont j’eus le commandement, et celle par voie terrestre de sir John Franklin et des employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson et par canots le long de la côte, jumelées aux explorations de sir John et de sir James Ross à l’est et aux efforts du capitaine Beechey et de ses officiers en direction du détroit de Béring, ont graduellement, mais complètement, mis un terme aux questionnements de nature géographique; un simple regard posé sur une carte de cette partie du globe, selon nos renseignements actuels, suffit pour montrer qu’il n’y a pas plus de doute sur l’existence du passage en question qu’il n’y en a sur un passage autour du cap Horn.
Les efforts précédents firent toutefois beaucoup plus pour encourager la tenue d’un autre essai. Ils confirmèrent par la négative, ce qui n’est pas moins important, les directions que toute future tentative ne doit pas prendre avec quelque espoir de réussite et ils délimitèrent donc considérablement la direction qui doit être prise. Les recherches laborieuses auxquelles j’ai fait allusion permirent de parachever la géographie de la partie nord-est du continent américain et montrèrent, sans l’ombre d’un doute, qu’aucune autre tentative ne doit être faite par le détroit d’Hudson ou la crique du Prince-Régent; bien que les recherches aient donné accès à de splendides canaux navigables par les détroits de Lancaster et de Barrow dans la mer polaire, elles prouvèrent que vers l’ouest, au moins jusqu’au 120e degré de longitude ouest, aucun obstacle terrestre n’est à craindre. Nous sommes donc en possession d’un fait important, soit que c’est quelque part dans l’espace situé entre le cap Walker et la terre de Banks que toute autre tentative devrait être faite et qu’il ne faut pas perdre une seule minute de la courte et précaire saison navigable en Arctique pour trouver l’endroit précis où tenter ce nouvel effort. C’est vers cet espace que je recommanderais à tout officier chargé de cette entreprise de porter son attention immédiate; et je pense, en tenant compte de l’information de ceux qui ont caboté le long de cette côte et de l’analogie fort remarquable qu’il semble y avoir entre leur côte et celle de l’Asie à la même latitude, là où les efforts du baron Wrangel pour pénétrer plus au nord ont été frustrés par la quantité d’eau libre, qu’il semble y avoir une très forte probabilité que cette entreprise puisse maintenant être couronnée de succès et la distance de seulement 900 milles qui reste à traverser entre l’île Melville et le détroit de Béring enfin parcourue.
Indépendamment, cependant, de l’avantage ainsi tiré de nos efforts et même de nos échecs passés, je pense qu’il y aurait maintenant un avantage à peine moins important à prévoir une petite machine à vapeur (pouvant produire une vitesse de 3 ou 4 nœuds) à bord de chacun des navires – peut-être une paire de petits moteurs de 50 chevaux-vapeur, avec une hélice marine mobile, qui peuvent tous être rangés dans un espace très petit et complètement à l’abri d’avaries causées par les glaces; et aucun combustible requis sauf pour naviguer à travers les canaux étroits et changeants entre les masses de glace lorsqu’il n’y aucun moyen de faire autrement. Il serait inutile de spéculer sur ce qui aurait pu être accompli avec un tel appareil auxiliaire lors des expéditions précédentes; mais je pourrais citer une centaine de cas où pouvoir prendre ainsi avantage d’ouvertures temporaires et occasionnelles par temps calme ou par vents légers contraires aurait pu augmenter de beaucoup nos chances de réussite. En réalité, un seul mille franchi au bon moment permet souvent dans ces conditions de navigation si particulières d’avancer de plusieurs lieues sans obstacle ou difficulté.
Au sujet des buts scientifiques qui pourraient être atteints par la poursuite de cette entreprise, je dirai simplement qu’une série d’observations du magnétisme terrestre à haute latitude le long de la côte septentrionale de l’Amérique, qui s’ajouterait à celles qui sont effectuées à une si splendide échelle autour du globe, pourrait, je pense, être en soi un but digne d’une telle expédition. Et comme je crois savoir qu’il n’y aura plus de fonds pour poursuivre cette série d’observations après l’année en cours, cela semble constituer une excellente raison de ne pas perdre la présente saison.
J’ajouterais aussi, comme autre raison de ne pas attendre, que la réussite dépendrait grandement de l’obtention des services d’officiers déjà expérimentés en navigation polaire; qui sont aptes et prêts à recevoir des requêtes pour repartir.
Pour terminer, monsieur le Comte, permettez-moi d’exprimer mon espoir fervent qu’une entreprise qui a depuis des siècles retenu l’attention du monde civilisé et qu’on pourrait penser revenir de droit à la Grande-Bretagne ne saurait être laissée à toute autre nation qui prendrait avantage des efforts que nous avons déjà accomplis et qui pourrait ainsi récolter à un coût relativement peu élevé et avec une certaine facilité ce qui, entre nous, revient à notre pays.
Je ne ferai qu’une autre suggestion à monsieur le Comte à l’effet que s’il fallait équiper une expédition en cette saison, pas un jour selon moi ne devrait être perdu avant le début de cette mission.
Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments distingués
Signé
W.E. Parry