F. L. McClintock au lieut. Schwatka (1880)

Admiralty House Halifax

2 octobre 1880

Mon cher monsieur

Permettez-moi de vous remercier pour le télégramme que vous avez eu la bonté de m’envoyer et que j’ai reçu il y a deux jours. Je n’avais pu vu tous les anciens numéros de N.Y. "Herald" et j’ai attendu de me les procurer avant de vous répondre car je ne comprenais pas "la différence entre la pointe Victory et la baie Irving" à laquelle vous référez : je n’ai pas trouvé non plus de passages qui l’expliquent. La position de la pointe Victory est donnée dans le document du capitaine Crozier déposé dans le cairn à cet endroit. Je ne connais aucune "baie Irving". J’ai nommé une île en souvenir du lieut. Irving du Terror dans la "baie de Terror". Pour nommer ce littoral encore inexploré, mon idée était de dénommer les deux baies principales en mémoire des deux navires et toutes les baies mineures – les pointes, les îles, etc. en souvenir des officiers de ces navires; ceux de l’Erebus étant groupés près de la "baie Erebus" et la même chose pour ceux du Terror près de la "baie de Terror". Considérant ce littoral comme étant consacré à leurs momies, je n’y ai attaché aucun autre nom que les leurs.

Permettez-moi de vous féliciter chaleureusement de la grande réussite de votre exploration et de votre retour qui vous permettra de jouir, je l’espère, des fruits de votre travail honorable.

Je ne vais pas vous ennuyer avec mes idées sur l’expédition perdue; vous les avez dans mon récit qui a été publié. Mes faits sont confirmés par votre examen minutieux et mes hypothèses ont acquis une validité considérable par tout ce que vous avez vu ou appris des autochtones qui m’avaient aussi parlé d’un corps à bord du navire et comme j’ai trouvé la chaloupe dirigée vers le nord j’ai conclu qu’elle tentait de retourner aux navires.

Je me réjouis grandement de n’avoir entendu aucune rumeur sur le fait qu’ils aient été réduits à manger de la chair humaine. Les autochtones n’ont pas notre aversion extrême pour le cannibalisme. Ils présumeront plus facilement que c’est un fait à partir de preuves beaucoup plus minces que celles qui pourraient nous satisfaire.

J’espère que vous déciderez d’omettre toute allusion que ce soit à ce sujet; sa publication ne pourrait que causer une très grande peine aux familles et aux amis toujours vivants et ne pourrait rien accomplir de bon et pourrait même causer du tort dans des cas similaires de privation extrême. Finalement, il est impossible en ce moment de prouver ou de réfuter ce qui, au mieux, n’est que soupçon.

Un article du N.Y. "Herald" est titré "Preuve de cannibalisme"; un autre (24 septembre) à propos duquel j’ai écrit à M. Gordon Bennett contient un éditorial qui affirme qu’il y avait des preuves d’un petit groupe d’officiers se nourrissant de leurs compagnons les plus faibles. Cela veut dire que ces officiers avaient abandonné leurs hommes et que finalement les plus forts avaient assassiné et dévoré leurs compagnons les plus faibles!

Vous avez estimé que cette chaloupe était très grande et avec un solide fini de cuivre. Donc elle n’aurait pu être tirée par un petit groupe et il est très probable qu’un médecin accompagnait ce groupe et il n’est pas improbable qu’il ait dû amputer un ou des membres à cause d’engelures.

Quoi qu’il en soit, je pense qu’il suffit de simplement attirer votre attention sur la nature douloureuse de ce sujet sans en discuter davantage. Nous savons qu’il ne manque pas de circonstances où des hommes affamés dans un état de désespoir proche de la folie ayant perdu toute maîtrise ont mangé la chair des camarades décédés et il est probable que de tels hommes aient été parmi les cent cinq hommes perdus.

Je suis fermement convaincu que les navires n’ont pas été abandonnés à la légère ni avant qu’il ne soit prudent et nécessaire de le faire. Ils sont partis avec des provisions pour trois années et nous avons des raisons très sérieuses de penser qu’une portion considérable (les conserves Goldner) était impropre à la consommation. De plus, les navires étaient partis depuis trois ans. En conséquence, leur abandon semble avoir été reporté au dernier moment possible. En mettant en opposition le fait qu’ils soient morts là où votre groupe a prospéré, certains journaux ont, par ignorance, manqué de générosité envers eux. En avril et en mai, la côte nord-ouest de l’île du Roi-Guillaume est totalement dénuée de gibier et comme leur nombre était réduit de 129 à 105 il est raisonnable de présumer qu’ils souffraient tous de scorbut lorsqu’ils ont mis pied à terre. Bien sûr tous les malades étaient avec eux, certains incapables de prendre soin d’eux-mêmes. La position de la tente-hôpital à une si courte distance de leur point de départ prouve cela de manière concluante. Passer d’une vie d’inactivité et de confinement sur le pont inférieur à une vie sous la tente et de durs labeurs a pour conséquence immédiate la maturation immédiate de tout scorbut en latence. Ce fut le cas du lieut. Hobson qui à son départ avait l’air en santé mais qui a perdu la capacité de marcher et a dû être transporté sur son traîneau jusqu’au Fox. La même chose est arrivée dans plusieurs cas et cela a même été mortel dans 5 ou 6 cas pendant la récente expédition arctique en traîneau de sir George Nare.

Je suis vraiment heureux que vous ayez ouvert à la traite des fourrures le coin nord-est du territoire de la Compagnie de la Baie d'Hudson. A mon retour sur le "Fox", j’avais envisagé une route telle que celle que vous avez adoptée, mais la région avait été décrite comme étant complètement dépourvue de gibier et donc impraticable; de plus des devoirs professionnels en cours m’ont fourni d’autres façons d’utiliser mon temps et mes forces.

Veuillez me croire, monsieur, votre tout dévoué

F.L. McClintock

À propos de ce document

  • Auteur: British Admiralty
  • Archive: National Maritime Museum
  • Collection: Papers of Admiral Sir Leopold McClintock, MCL / 45 (a) Correspondence and press cuttings connected with Lieut. Schwatka expedition 1880-1881
  • Date: 2 octobre 1880
  • Notes: Transcription par Lyle Dick au National Maritime Museum, 2013 de la lettre originale de McClintock.
Sunken ship