L’aventure britannique (1849)

“NON ANGLI SED ANGELI” “Ce ne sont pas des Anglais mais des anges”, se sont exclamés les Romains lorsque, pour la première fois, ils ont contemplé la belle jeunesse anglo-saxonne faisant son entrée comme prisonniers dans la ville qui était alors la métropole du monde. “Angli et Angeli”, “Ce sont des Anglais et des anges”, ou pour utiliser le sens premier du mot “Ce sont des Anglais et des “messagers”, pourrait s’exclamer quiconque à notre époque aurait réfléchi à l’immense esprit d’initiative et au dynamisme invincible de la race anglo-saxonne. Les Britanniques sont des messagers de la civilisation à un degré beaucoup plus élevé que qui que ce soit d’autre. Avec leurs descendants, ils ont déjà accompli plus de choses pour l’expansion des connaissances géographiques et scientifiques et l’avancement de l’humanité que tout autre peuple sous le soleil. A l’exception de quelques recherches faites par les Français dans les documents et les monuments des anciennes civilisations orientales et du voyage de La Pérouse, et une légère exception en faveur de quelques Hollandais et quelques Allemands, l’histoire des découvertes par mer et par terre au cours des soixante-dix dernières années est l’histoire des exploits et du dévouement britanniques. Un regard à la carte anglo-saxonne récemment publiée suffira à démontrer à quel point le monde est endetté envers nous et nos enfants de l’Amérique pour nos efforts afin d’accroître notre compréhension de la structure physique de la terre. Nous avons laissé notre marque bienfaisante en Arctique et dans les cercles arctiques, dans les Tropiques et parmi les innombrables îles du Pacifique. Que nous soyons poussés par l’appât du gain, par l’esprit d’aventure, par l’amour du savoir ou par toutes ces raisons, le résultat final demeure le même. Notre présence physique, morale et intellectuelle se fait sentir dans chaque région du globe. Si, dans certaines régions, ce sont les conquêtes, et aucun motif n’est plus élevé, qui nous ont amenés à établir notre domination parmi les tribus et les nations qui nous étaient étrangères par la langue, la religion et les manières, les ennemis les plus âpres du pouvoir britannique oseront à peine nier le fait que, même si nous conquérons, la tendance générale de notre domination est de civiliser et de raffiner.

Pourtant, bien que beaucoup ait été accompli, il reste encore beaucoup à faire. L’intérieur du vaste continent africain est encore un livre fermé que les futurs Mungo Park, Bruce, Denham, Clapperton et Lander voudront ouvrir pour satisfaire et éduquer le monde. Récemment découvert, inexploré et encore plus intéressant, l’intérieur du continent australien est destiné sans aucun doute à devenir avec le temps le siège d’un empire encore plus magnifique que celui de la Grande-Bretagne elle-même. Par rapport à nous et au monde, la Nouvelle-Guinée, Bornéo, les Célèbes et un millier d’îles plus petites, situées dans le même océan splendide, prolifique et regorgeant de richesses, et n’ayant besoin que de l’influence d’une race faisant preuve d’initiative et d’assiduité pour aiguillonner les indolents et les sauvages qui les habitent, n’en sont qu’à leurs premiers pas. Nous avons déjà un pied dans la plus grande de ces îles – la plus grande et la plus belle île du monde. C’est par les efforts individuels ou ceux de la nation que dans un avenir assez rapproché nous expliquerons l’élargissement de nos connaissances géographiques et ethnologiques et l’augmentation de notre propre richesse et celle des pays avec qui nous ferons des affaires. Ces mers recèlent encore des découvertes à faire qui continueront de tester l’énergie et l’enthousiasme des futurs aventuriers qui tenteront de relever le défi, au gré des circonstances, afin de justifier la longue renommée de notre race et qui deviendront eux-mêmes célèbres ayant gagné la gratitude de toutes les nations civilisées. Les îles et les continents du pôle Sud ne sont encore qu’à moitié découverts. Ils vont de la terre de Palmer, dans l’hémisphère occidental, jusqu’à Victoria, dans l’hémisphère oriental; et, bien que moins importants d’un côté commercial, ils demeurent aussi intéressants pour la science que les territoires plus riches et plus privilégiés situés dans les tropiques. Nous pouvons nous attendre à recevoir périodiquement des nouvelles de la progression du travail qui se fait dans ces quartiers inhospitaliers et des expériences et des observations qui donneront des réserves de connaissances d’une valeur inestimable pour le géographe, l’astronome, le philosophe naturel et, peut-être, même pour le commerçant.

Mais de toutes les expéditions que l’entreprise privée ou une politique gouvernementale a équipées pour l’exploration des régions encore inconnues du globe, les diverses expéditions parties à la découverte du passage du nord-ouest sont considérées par les habitants de ce pays, et par le monde en général, avec le plus grand degré d’intérêt et d’inquiétude. L’échec d’une expédition agit comme une motivation pour en équiper une autre; et plus grand est le danger, plus grande est l’ardeur d’hommes vaillants et résolus, du commandant le plus compétent et le plus expérimenté au matelot le plus infatigable, d’y prendre part pour avoir la chance d’y trouver la renommée éternelle qui vient avec la réussite. Les capitaines Parry, Ross, Back, Franklin et leurs braves compagnons, qui ont cherché périodiquement depuis les trente dernières années à résoudre ce problème profondément intéressant et à déterminer la configuration du grand continent nord-américain et de cet autre grand continent arctique dont nous ne connaissons que le Groenland, ces hommes emportent avec eux les souhaits chaleureux de leurs concitoyens. Ceux qui sont revenus sains et saufs après les nombreuses privations et souffrances d’un tel voyage ont invariablement été accueillis avec un enthousiasme débordant; et la longue absence de sir John Franklin, le dernier explorateur de ces mers, a éveillé un intérêt affectueux et profond dans la population qui s’est finalement transformé en sollicitude attristée pour son sort et celui des braves hommes qui partagent ses périls et sa gloire. Les anxiétés conjugales de lady Franklin et son offre de récompense pour inciter les capitaines des baleiniers à naviguer à la recherche des héros manquants ont touché une corde sensible du cœur national; et le plus humble et le moins éduqué des lecteurs des évènements rapportés dans nos journaux cède à l’espoir, que tôt ou tard, et ayant réussi ou non à atteindre l’objectif de son voyage, sir John Franklin reviendra pour recevoir les remerciements de ses concitoyens et l’affection de ses amis et de sa famille. Il y a enfin des raisons de croire que cet espoir n’est pas sans fondement et que sir John Franklin et ses intrépides marins sont sains et saufs dans la crique de Prince-Régent et en communication avec un compagnon d’armes et un équipage familier dans les personnes de sir James Clark Ross et de ses compagnons. Chaque arrivée de ces mers sera attendue avec impatience jusqu’à ce que la bonne nouvelle rapportée par le capitaine du Truelove soit confirmée. Le nom même de ce vaisseau est un bon présage pour lady Franklin et, par son truchement, pour toutes les personnes qui s’intéressent à la sécurité de son époux. Nous pouvons exprimer l’espoir, que nous savons partagé par des millions de personnes, que de l’information encore plus positive arrivera rapidement; et que toutes les raisons de craindre pour l’avenir de l’Erebus et du Terror seront supprimées de son esprit et de celui du pays tout entier.

Plus que toute autre expédition entreprise par nos concitoyens, ces expéditions polaires démontrent de façon exhaustive l’énergie indomptable, l’amour audacieux de l’aventure et la passion de la découverte qui distinguent admirablement la race anglo-saxonne et qui l’ont hissée à un rang si élevé dans les assemblées du monde. Certains ont donné comme raison pour laquelle on ne devrait plus prodiguer d’argent dans l’aventure du nord polaire ni mettre en danger ou sacrifier aucune autre vie, que le passage du Nord-Ouest, même s’il était découvert, ne servira à rien. Des preuves et des expériences concrètes confirmeront ce que nous savons déjà par raisonnement; mais là, est-il allégué, se termine l’avantage. Un passage qui n’est pas toujours praticable et qui ne peut être traversé qu’à grands frais et à d’énormes risques n’est d’aucune autre utilité. Nous pourrions tout aussi bien nous en passer, pour tous les avantages que nous en retirerons. Dans un sens, tout cela est vrai : mais, quoi qu’il en soit, en ce qui a trait à cette réalisation particulière, la valeur scientifique l’emporte sur la valeur commerciale, selon l’opinion britannique; et une expédition succède à une autre expédition et cela continuera jusqu’à ce que l’objectif soit atteint. Nous pensons que c’est une bonne chose que cela soit ainsi et que même en calculant les profits et les pertes nous n’avons aucun droit de conclure que rien de bien ne sortira de l’initiative de nos concitoyens. Qui, en ces jours, sera assez intrépide pour mettre des limites aux découvertes scientifiques? Qui sait quels problèmes intéressants en lien avec le magnétisme et l’électricité pourraient être résolus par des observations intelligentes et exactes en Arctique? Et quel phénomène naturel aujourd’hui mystérieux et complètement incompréhensible pourrait être expliqué en conséquence des expériences faites dans ces régions? Qui mettra des limites à nos capacités de locomotion et dira qu’à partir d’aujourd’hui nous ne pourrons peut-être pas forcer notre chemin à travers les champs de glace au 75e degré de latitude nord? Tout ce qui a déjà été accompli donne un sentiment d’humilité aux vrais amoureux de la science tout en les encourageant à utiliser ces connaissances pour accomplir d’autres réalisations plus splendides et plus utiles. Si nous ne sommes pas destinés à cueillir les fruits de leurs labeurs, notre descendance le pourrait; et lorsque nous réfléchissons à tout ce que nos ancêtres ont accompli et à ce grand héritage de connaissances scientifiques qu’ils nous ont légué, nous pourrons, sans être présomptueux ou trop optimistes, espérer que notre époque pourra aussi, nous ne savons pas comment, léguer un héritage encore plus grand à notre descendance. Même les expéditions du nord polaire pourraient accomplir cela; et alors que le pays accueille avec gratitude chaque aventurier qui revient de ces mers captivantes mais dangereuses sans avoir réussi, le pays continuera d’envoyer avec chaque navire ses meilleurs souhaits pour chaque nouveau héros qui fera un autre essai.

Illustrations des sources (2)

À propos de ce document

  • Auteur: Illustrated London News
  • Publication: Illustrated London News
  • Volume: 15
  • Numéro: 394
  • Date: 13 octobre 1849
  • Page(s): 241-242
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