Une nouvelle analyse du rôle présumé du plomb lors de la dernière expédition de sir John Franklin, 1845-1848 (2014)

L’expédition Franklin de 1845 visait à établir un passage nord-ouest de l’Atlantique au Pacifique, mais elle s’est terminée avec la mort de ses 129 membres d’équipage dans de terribles circonstances. L’hypothèse voulant que l’empoisonnement au plomb ait contribué au désastre est revue dans le cadre d’une nouvelle analyse du contenu de plomb dans les os de sept squelettes dans le but de créer un modèle statistique des possibles variations de contenu en plomb chez tous les membres d’équipage. La comparaison des teneurs estimées en plomb avec les données récentes associant le plomb à une morbidité cognitive et physique suggère qu’une partie des membres d’équipage aurait pu ressentir peu d’effets secondaires alors que ceux avec une plus haute teneur en plomb auraient été extrêmement affaiblis. On ne sait pas si un tel affaiblissement aurait provoqué un état d’incapacité ou même si cela était exceptionnel en Grande-Bretagne au dix-neuvième siècle alors que la population vivait dans un environnement contaminé au plomb. Bien que le plomb n’ait pu à lui seul causer le désastre, il est suggéré que les hautes teneurs en plomb auraient pu interagir avec d’autres facteurs incluant l’insuffisance nutritionnelle et la constitution des individus qui auraient vulnérabilisé certains d’entre eux et mené à un affaiblissement extrême dans les derniers moments de l’expédition.

Conclusions générales

Il faut faire preuve de prudence avant de tirer des conclusions de la présente analyse. Bien qu’elles aient été élevées selon les normes d’aujourd’hui, les teneurs en plomb étaient probablement très variées au sein de l’équipage. On ne sait pas si ces teneurs et leur variabilité auraient été considérées comme étant inhabituelles en Grande-Bretagne au dix-neuvième siècle. Le chevauchement des teneurs entre les sujets exposés au plomb à notre époque et les membres de l’équipage de Franklin implique qu’au moins une partie de ces hommes, ceux dont les teneurs étaient plus basses, n’auraient ressenti que peu d’effets. Si la variation estimée des teneurs en plomb chez les membres d’équipage était similaire à celle de la population « à terre » du dix-neuvième siècle chez qui l’empoisonnement au plomb n’était pas inhabituel, alors il serait logique de présumer que certains membres d’équipage présentant des teneurs élevées auraient pu ressentir des symptômes importants. Que la nature ou le niveau de ces symptômes ait généré une incapacité à grande échelle doit être considéré à la lumière de la preuve voulant qu’il y ait aujourd’hui des personnes présentant des teneurs élevées en plomb dans les os et dans le sang qui ne semblent pas, selon les apparences, les empêcher de travailler et de fonctionner « normalement ». Cette conclusion est compatible avec nos connaissances sur l’augmentation de la tolérance à l’exposition chronique au plomb et sur la variabilité de la susceptibilité aux effets négatifs du plomb chez les individus. De plus, bien que les effets nocifs du plomb n’aient peut-être pas été la seule cause d’affaiblissement, ils sont peut-être devenus un facteur important en réagissant avec des facteurs tels que l’insuffisance nutritionnelle, le stress et le désespoir.

[...]

Cette analyse comporte plusieurs limites importantes. Premièrement, le nombre d’échantillons disponibles est si petit qu’il faut être très prudent avant d’évaluer les effets du plomb sur l’ensemble des membres d’équipage. Deuxièmement, Keenleyside a noté que les teneurs en plomb mesurées sur un seul os peuvent varier selon la procédure d’analyse et l’endroit où l’os est échantillonné : il est clair que de telles variations affectent la reproduction des effets et soulèvent des incertitudes quant aux teneurs absolues en plomb chez les membres d’équipage. Troisièmement, en ce qui concerne les effets du plomb chez les membres d’équipage, les comparaisons entre les hommes de Franklin et les groupes exposés aujourd’hui au plomb doivent être préliminaires et explicatives plutôt que définitives. La difficulté principale se trouve dans le fait que les conclusions sont grandement entravées par le manque de données de contrôle qui permettraient de déterminer si les teneurs en plomb trouvées chez les hommes de Franklin étaient typiques des membres d’équipages de la Marine royale à l’occasion de missions similaires et dans l’ensemble de la population du dix-neuvième siècle. Le processus d’obtention de ces données de contrôle serait parsemé d’embûches considérables, mais il permettrait de tester une fois pour toutes l’hypothèse de l’empoisonnement par le plomb.

Illustrations des sources (3)

À propos de ce document

  • Auteur: Keith Millar, Adrian W, Bowman, and William Battersby
  • Publication: Polar Record
  • Volume: 50
  • Numéro: 1
  • Date: 9 janvier 2014
  • Page(s): 10-12
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