Lettre de lady Franklin [à propos du paiement de la récompense offerte par l’Amirauté] (1856)

(Suite des documents présentés en septembre 1854-1855) Présentés à la Chambre des communes. 1856.

No 49

Lettre de lady Franklin - (reçue le 16 avril.)

LADY FRANKLIN présente ses hommages au Secrétaire de l’Amirauté et lui demande de bien vouloir lui faire l’honneur de faire suivre la lettre jointe aux Lords Commissaires de l’Amirauté dès que possible.

60, Pall Mall,

18 avril 1856.

Pièce jointe no 49

Lady Franklin au sujet de l’attribution de la récompense, aux Lords Commissaires de l’Amirauté.

60, Pall Mall 12 avril 1856

Mes Seigneurs

J’AI l’honneur de soumettre à Vos Seigneuries une copie d’un avis publié à votre demande dans la Gazette du 22 janvier dernier et de vous demander de bien vouloir examiner les motifs qui m’obligent à contester respectueusement l’attribution prématurée qui y est proposée. Je n’aurais pas dû tant attendre pour mettre à exécution une intention formée peu après la publication de l’avis et dont j’avais entretenu le Dr. Rae depuis plusieurs semaines, mais je me trouvais dans l’incapacité d’écrire à cause d’une maladie grave de laquelle je ne suis d’ailleurs qu’en partie rétablie.

Les motifs pour lesquels j’ose faire appel de la présente attribution de la récompense sont les suivants :

1. Parce qu’il ne peut être réellement affirmé que le destin des équipages de l’Erebus et du Terror a été établi et que l’attribution de la récompense à partir d’une telle présomption semble donc prématurée.

2. Parce que les efforts du Dr. Rae n’ont pas établi leur destin.

3. Parce qu’il est encore possible de découvrir tout ce qui est arrivé, et si cela advenait et que cette récompense ait été attribuée prématurément, ceux qui auront réussi à établir ces faits seront privés de la récompense qui leur reviendrait de droit.

4. Parce que cette attribution affirme que tout a été dévoilé et met ainsi un frein à tout nouvel effort pour déterminer le destin de l’expédition et semble neutraliser l’intention humanitaire de la Chambre des communes qui a voté une large somme à cet effet.

J’ai confiance que les commentaires qui suivent, dont le but est d’éclaircir ces points, ne seront pas considérés comme un manque de respect envers Vos Seigneuries et que vous m’accorderez l’indulgence à laquelle semblent me donner droit le sujet dont il est question et le profond intérêt personnel que j’y porte.

1. Ce n’est pas mon intention dans ce premier point de jeter un doute sur les rapports du Dr. Rae, certains points ayant été confirmés par les reliques irréfutables achetées des Esquimaux, mais j’aimerais cependant mettre en lumière certaines limites des arguments présentés et faire remarquer qu’une grande partie de ce qui a été considéré jusqu’ici comme étant un fait établi n’est en fait que conjectures, ce qui devrait freiner toute prise de décision plutôt que d’en hâter l’énonciation.

Aucun des faits en notre possession ne prouve que les quelques hommes blancs s’étant rendus dans l’estuaire de la grande rivière à poissons [rivière Back] avec une grande chaloupe (dont les restes et plusieurs articles leur appartenant furent retrouvés) et qui auraient péri là-bas, étaient les seuls survivants des équipages de l’Erebus et du Terror, et qu’aucun autre groupe des équipages originaux, totalisant environ 135 hommes, n’aurait pu prendre une autre route.

De plus, le groupe (connu) avec une chaloupe n’a même pas été relié aux navires ou aux épaves desquels provenaient les équipements; les navires n’ont pas été recherchés, bien qu’il existe de nombreuses raisons de conclure, à partir de la nature des objets rapportés au pays par le Dr. Rae et d’autres vus par M. Anderson sur l’île Montréal et le rivage adjacent, que ces navires avaient été pillés par les Esquimaux et qu’ils étaient proches. Quels sont les secrets cachés dans ces épaves ou ces navires échoués, nous l’ignorons – ce qui pourrait être enterré dans les tombes de nos infortunés compatriotes ou ce qui a été déposé dans des caches qui restent à découvrir, il nous reste encore à l’apprendre. Les corps et les tombes dont on nous a parlé n’ont pas encore été trouvés; les livres (journaux de bord) dont on dit qu’ils sont entre les mains des Esquimaux n’ont pas encore été recouvrés; ainsi, laissés dans l’ignorance et l’obscurité avec si peu de résultats obtenus et avec encore tant à apprendre, peut-on dire, et est-il approprié de le faire, que le destin de l’expédition a été établi?

Que Vos Seigneuries n’aient pas considéré la question comme étant résolue par les rapports du Dr. Rae à la fin de 1854 et par les reliques qui les authentifiaient dans une certaine mesure est démontré par vos propres actions lorsque vous avez reçu les renseignements tragiques, car il fut immédiatement décidé de prendre les mesures nécessaires pour vérifier la véracité de rapports ne pouvant être acceptés comme étant concluants et obtenir des renseignements additionnels. Un sentiment unique prévalait dans l’ensemble du pays en cette triste occasion. Aucune dépense ne devait être refusée pour mettre sur pied une dernière expédition de recherche, car après six longues années d’échecs et de déceptions, il semblait que l’indice que nous avions demandé et pour lequel nous avions prié était dorénavant entre nos mains et qu’il en allait de l’honneur et du mérite de l’Angleterre de suivre la piste jusqu’à ce qu’elle nous mène à la résolution du mystère.

Mes Seigneurs, j’hésite à reparler de la douleur et de la terrible déception que j’ai ressenties, que plusieurs ont par ailleurs partagées avec moi, lorsque le seul résultat de vos délibérations en réponse au bouleversement populaire fut une simple expédition en canot de bouleau pour descendre la grande rivière à poissons [rivière Back], expédition confiée à la Compagnie de la Baie d'Hudson et ne jouissant d’aucun soutien de la marine. En vain a-t-on plaidé pour qu’un vaisseau soit envoyé pour collaborer avec le groupe descendant cette rivière qui, s’il venait à rejoindre la mer, ne pouvait s’y embarquer dans ces frêles canots; et, si cela n’était pas accordé, qu’au moins un officier de la marine accompagne le groupe et dirige l’expédition puisqu’il était bien connu que la Compagnie de la Baie d'Hudson, malgré l’ardeur déployée pour atteindre les objectifs demandés avec toute l’efficacité requise, ne pourrait fournir un officier compétent pour faire les observations indispensables en latitude et en longitude. Je dois ici reconnaître que le Dr. Rae, avec les officiers de la Compagnie de la Baie d'Hudson qui étaient sur le point d’être ainsi employés, a fait une recommandation similaire, étant persuadé que les braves et judicieux serviteurs de la Compagnie n’auraient pas hésité à se placer sous l’autorité d’un officier de la marine de Sa Majesté pour autant que ce dernier se soit déjà brillamment distingué en Arctique. En plus des premières lacunes de cette expédition par terre ou par rivière, elle ne s’est jamais procuré les services d’un interprète ce qui fait que tous les renseignements provenant des Esquimaux, principalement de quelques femmes, furent seulement transmis par signes.

Il faut louanger le travail des deux officiers diligents qui, malgré tous ces désavantages, ont tout de même réussi à accomplir quelque chose : mais peut-on réellement s’étonner si, après une recherche de seulement 9 jours dans une zone très limitée qui n’incluait même pas l’île du Roi-Guillaume où nos compatriotes en fuite ont d’abord été vus, ils ont été dans l’obligation de revenir rapidement à cause des dommages à leurs embarcations, et n’ont pu apporter aucun autre éclairage sur l’histoire de ceux dont ils devaient établir le destin. M. Anderson a pu confirmer qu’un grand groupe de l’Erebus et du Terror était arrivé de la mer à l’estuaire de la grande rivière à poissons [rivière Back]; mais son témoignage négatif sur d’autres sujets, tels que les corps et les tombes qui n’ont pas été trouvés, tend à jeter le doute sur les preuves plutôt qu’à les confirmer.

Permettez-moi d’ajouter, sans préjudice à cet excellent serviteur de la Compagnie de la Baie d'Hudson, M. Anderson, que lui-même est si loin de considérer que le destin de l’expédition a été totalement déterminé par les résultats de ses dernières recherches, ou qu’il n’y a plus rien à faire, qu’il a senti que c’était son devoir de m’exprimer à son retour, tout comme il l’avait fait avant son départ, qu’il croyait fermement qu’un vaisseau devrait être envoyé dans la zone de la terre du Roi-Guillaume afin de poursuivre les recherches. Avec une vingtaine d’hommes bien armés et deux interprètes, il pense que deux groupes pourraient partir de là pour explorer les côtés est et ouest du détroit de Victoria ainsi que la partie basse de la crique du Régent, son idée étant que les épaves des vaisseaux seront retrouvées dans le détroit de Victoria, sur la côte ouest de Boothia, entre le détroit de Bellot et la terre du Roi-Guillaume. Le 15 septembre dernier, M. A. m’a écrit qu’il s’était lui-même préparé pour une seconde saison de recherches; mais je peux présumer que n’ayant reçu aucune instruction à cet effet, ses préparatifs ont été faits en vain. Il est évident qu’il pense que les tribus esquimaudes sur les rives de ce détroit détiennent le secret que nous recherchons, que quelque chose de plus qu’une visite éclair de quelques jours doit être fait avant que leurs peurs, peut-être empreintes de culpabilité, soient apaisées et leur confiance gagnée.

L’opinion que je me suis permis d’avancer, c’est-à-dire qu’il reste beaucoup de preuves concluantes à obtenir sur le destin de l’expédition et que les moyens pour les obtenir n’ont pas été utilisés mais sont à notre portée, cette opinion n’est pas seulement mienne, auquel cas j’aurais hésité à l’avancer malgré la profondeur de mon intérêt personnel dans cette affaire. Je pourrais fournir des preuves très solides confirmant que les sentiments et les opinions que j’ai pris la liberté d’exprimer sont partagés par certains des plus grands experts à qui Vos Seigneuries ont l’habitude de se référer sur les questions arctiques et aussi par ces braves officiers d’expérience qui se sont grandement distingués au cours de leur travail en Arctique; et je vous demande instamment, avant que nous n’éteigniez la lumière qui s’est allumée dans la noirceur de ce coin de pays, si nous n’avons pas été dirigés par le doigt de Dieu afin que vous rassembliez, comme vous l’avez fait auparavant, ces officiers de l’Arctique et que vous leur demandiez leur opinion individuelle et collective quant à cette urgence.

2. Il semble presque superflu de faire remarquer que si le destin des équipages de l’Erebus et du Terror n’a pas été établi, le Dr. Rae n’a donc pas réussi à l’établir. Et ainsi on m’épargnera la tâche ingrate de considérer s’il a fait les efforts sous-entendus dans la proclamation de Vos Seigneuries comme une condition de la récompense, et si ce n’est pas le cas, en passant par-dessus cette clause, je semble admettre une hypothèse qui compromet la vérité principale que je désire établir. C’est avec un grand regret que je me vois obligée de contester la revendication du Dr. Rae selon laquelle ses efforts lui ont permis d’établir le destin de mon époux et de ses compagnons, car nous lui sommes redevables (ni plus ni moins) d’avoir rapporté des renseignements utiles qui, appuyés par des preuves tangibles de certains faits, nous auraient permis de résoudre la question une fois pour toutes si de plus amples moyens avaient été utilisés, et nous permettraient encore de le faire. Si le Dr. Rae avait vérifié personnellement certains rapports qu’il a reçus de deuxième ou de troisième main des Esquimaux et s’il avait utilisé les faits ainsi obtenus pour approfondir ses recherches, ou même s’il était rapidement revenu au pays sans autre objectif que de provoquer l’organisation d’une recherche plus complète et plus efficace que celle qu’il aurait pu accomplir là-bas, sa revendication aurait un tout autre aspect. Mais il n’a pas dévié de sa route pour vérifier les faits surprenants qui lui ont été communiqués et il est rentré au pays, comme il le dit expressément à Vos Seigneuries dans sa lettre officielle, dans le but de mettre un frein à des expéditions futures (ailleurs) – un objectif digne d’éloges, peut-être, mais qui diffère largement de celui pour lequel une récompense était offerte. Je dois au Dr. Rae cependant d’ajouter que lorsque l’expédition de la rivière à poissons [rivière Back] fut décidée, il a rapidement donné son avis quant à son organisation, mais il a refusé d’en prendre le commandement qui lui avait été proposé. Il se déclare aussi favorable en ce moment à l’idée de recherches additionnelles, si ce n’était, m’a-t-il assuré, que pour obtenir la confirmation de ses affirmations, ce qu’il prévoit. Je serais beaucoup plus heureuse de plaider, bien que cela soit au-delà de mon ressort, afin que le Dr Rae reçoive une récompense adéquate pour les services qu’il a rendus, récemment et dans le passé, plutôt que de m’opposer à son droit de recevoir celle qui est proposée dans la troisième clause de l’avis de la Gazette, à laquelle selon moi il n’a pas prouvé son droit.

3. Par égard pour ceux qui pourraient un jour faire valoir une meilleure revendication, je suis encore une fois obligée de contester respectueusement l’attribution prématurée annoncée dans l’avis de la Gazette. Lorsque, au début de la session de 1849, la Chambre des communes a unanimement voté la somme de £20,000 pour encourager les entreprises privées, et seulement les entreprises privées, à faire des recherches pour retrouver ceux qui étaient perdus et faisaient l’objet d’une telle sollicitude nationale, elle n’a alors imposé aucune restriction à la période pendant laquelle la récompense serait donnée; personne n’aurait pu alors envisager que, pendant que la communauté était divisée sur la véracité des faits et que la vaste majorité des personnes les mieux informées sur le sujet et d’autres qui y portaient un vif intérêt personnel étaient insatisfaits des preuves et en demandaient de meilleures, personne n’aurait pu envisager la possibilité qu’un décret arbitraire, tel que celui en lien avec l’attribution prématurée de la récompense, devrait exclure toutes les autres dans le futur en faveur d’un seul candidat dont les revendications sont peu convaincantes. J’aimerais soumettre de bonne foi à Vos Seigneuries que, aussi longtemps que des fonds privés sont engagés dans cette cause et que des actions concrètes sont en cours ou en préparation dans le but d’éclaircir le mystère lié au destin des équipages de l’Erebus et du Terror, il serait injuste de fixer une limite arbitraire au fonctionnement d’un acte conçu expressément dans ce but et ainsi proclamé à l’époque “par le gouvernement de Sa Majesté”.

Je me vois ici obligée d’affirmer que, bien que ce soit mon humble espoir et ma prière fervente que le gouvernement de mon pays se donne la mission de terminer le travail qu’il a commencé et qu’il ne laisse pas à une femme faible et sans défense la mission de tenter de faire de manière imparfaite ce que le pays lui-même peut faire si bien et si aisément, si besoin est, telle est pourtant ma douloureuse résolution, avec l’aide de Dieu.

Au nom de ces hommes valeureux qui se dévoueront dans ce travail par amour et par devoir, je me dois de réclamer qu’ils ne soient pas exclus de la récompense à laquelle ils pourraient avoir droit par une attribution prématurée. Ils auront peut-être encore le fardeau d’établir ce que nous voulons savoir, en totalité ou en partie, et de rapporter un carnet ou un fragment précieux qui autrement nous seraient perdus à jamais.

Si ces explorateurs accomplissaient n’importe laquelle de ces choses, ignorerez-vous leur travail et leurs prétentions parce que, au printemps de 1856, vous aviez jugé que le destin de l’expédition avait été établi et que vous aviez accordé la récompense? J’ai le droit d’utiliser cet argument, bien qu’en le menant jusqu’à ses limites, je pense ne rendre justice ni à Vos Seigneuries ni aux volontaires dévoués qui entreprendront ce qu’ils doivent faire dans un esprit plus élevé que ce que le seul espoir d’une récompense monétaire pourrait leur insuffler.

Cependant je pourrais illustrer cet argument par un exemple immédiat, celui du capitaine Penny, un homme diligent et rempli d’initiative. Vos Seigneuries ignorent peut-être que le capitaine Penny, avant son départ de l’Angleterre l’année dernière au commandement de deux baleiniers, m’avait informée que les rapports du Dr. Rae lui rappelaient de vagues rumeurs d’une bagarre entre des blancs et des Esquimaux dont il avait entendu parler alors qu’il était dans le détroit de Northumberland la saison précédente, rumeurs qui avaient voyagé par tribus successives d’Autochtones. Et le capitaine Penny avait ajouté qu’en dépit de toutes les difficultés qu’il entrevoyait pour mener à bien son projet, il avait l’intention d’embaucher des Autochtones parmi les plus intelligents et les plus dignes de confiance et qui avaient été éduqués à son poste baleinier pour retracer la source des rumeurs, que cette source soit la catastrophe à la grande rivière à poissons [rivière Back] ou toute autre qui aurait surpris un groupe séparé des équipages de l’Erebus et du Terror dans un autre endroit. Aujourd’hui, bien que je n’aie pas grand espoir (considérant la distance à être parcourue et les autres obstacles) quant à la réussite des efforts louables du capitaine Penny, et bien que je sois certaine qu’il n’a jamais accordé une pensée à la récompense gouvernementale, serait-il pour autant juste d’attribuer cette récompense maintenant, en présence de tels faits?

J’ai parlé à contrecœur d’une expédition privée, à mes frais, que je pourrais être forcée d’entreprendre, désespérant que Vos Seigneuries terminent le travail que vous avez entrepris, mais pas avant. Et bien que je pense que cela soit superflu de le faire, j’affirme n’avoir aucun intérêt personnel à vouloir retarder l’attribution de la récompense jusqu’à ce que le résultat de cette expédition ou de toute autre soit connu. Même si la récompense devait être attribuée en totalité ou en partie à ceux qui auront participé à mon entreprise privée, cela ne pourrait en aucune mesure me soulager de quelque partie de mes propres obligations monétaires envers eux ou de quelque dépense. Depuis le règlement de la succession de feu mon époux, mes fonds peuvent amplement suffire à équiper la goélette Isabel, aujourd’hui à quai, à grands frais pour moi, en attente de sa possible destination; et, à moins que mes fonds indépendants ne s’épuisent, ce que je n’entrevois pas, je ne demanderai même pas à Vos Seigneuries la pension de veuve d’un vice-amiral à laquelle je présume avoir droit. Ma demande à Vos Seigneuries se limitera à une aide qui n’est aucunement monétaire, et à cet effet, j’ai reçu l’assurance de la plus haute autorité que cette aide ne me serait pas refusée.

4. Ceci m’amène à ajouter, comme dernier argument de protestation contre la décision immédiate que la revendication du Dr. Rae vous a donné l’occasion d’annoncer, que son plus grand fléau, celui qui me donne le plus grand motif de me plaindre, serait de décourager les hommes de noblesse qui, en offrant leurs services, le font avec la certitude qu’ils ont l’approbation de Vos Seigneuries ainsi que votre permission. La présente attribution donnerait le message à la population et à la marine en particulier que, selon Vos Seigneuries, tout ce qui pouvait ou devait être fait à été fait; qu’il n’y a rien de plus à apprendre ou rien qui vaille la peine d’être connu, ou rien qui soit proportionné aux coûts ou aux risques encourus (bien que ces coûts et ces risques soient faibles) pour l’obtenir; et cela marque comme étant obsession et entêtement les sentiments et les convictions qui mènent à une autre route. Mais si, en effet, après tant d’années de travail et d’inquiétude, qui ne sont pas sans valeur, dans les mauvaises directions, l’objet de nos recherches devait être abandonné au moment même où nous savons où et comment l’atteindre – si ce qui avait été jusqu’à aujourd’hui le devoir d’une nation doit maintenant être réduit à un simple intérêt personnel – à tout le moins laissez-moi vous supplier de ne pas étouffer ces derniers efforts privés par des gestes de votre part.

Permettez-moi de conclure avec un commentaire :

On peut présumer que, à ce moment-ci, j’ai une nouvelle motivation pour poursuivre les recherches, dans la mesure où la justice a jusqu’ici été refusée à mon époux et à ses compagnons à titre de premiers découvreurs du passage du Nord-Ouest et qu’elle a été refusée parce que d’autres recherches seraient requises afin de déterminer dans quelle mesure ils ont fait ces découvertes pour lesquelles ils ont sacrifié leurs vies.

La réponse à mon appel fut si stérile, bien qu’exprimée avec amabilité, que moi qui croyais mes motifs au-dessus de tout soupçon, j’ai eu le courage de porter devant le Comité restreint de la Chambre des communes qui avait été mis sur pied pour faire la lumière sur les revendications de sir Robert Maclure à la récompense, lorsque j’ai découvert que le droit de l’expédition de mon époux – non pas à la récompense, mais au mérite de la découverte antérieure, était ignoré, ou incompris, ou oublié. Et pourtant on aurait pu présumer qu’un examen complet des revendications contradictoires aurait été à la base d’une décision; que ceux qui ne pouvaient plaider leur propre cause, car leurs voix étaient muettes dans la tombe, auraient trouvé un défenseur en chaque homme dans cette assemblée, et, je le reconnais avec gratitude, comme ils l’ont trouvé en quelques-uns.

Mais ce souvenir douloureux ne fait pas partie, ou si peu, des sentiments qui m’ont poussée à mettre sur pied d’autres recherches que je ne devrais pas moins désirer même s’il est possible que les résultats de ces recherches puissent faire s’envoler mes convictions plutôt que de les confirmer. Non plus, peut-être, n’aurais-je dû toucher à cet autre sujet, sauf en exprimant mon opinion avec moins d’apparence de présomption, que c’est à cause d’un groupe d’hommes ayant résolu le problème perdurant depuis des siècles au prix de leurs vies, à cause de l’acte de cette mort, que nous devrions rechercher leurs dépouilles à l’endroit où ils ont péri; et comme ils auront certainement trouvé de quelconques moyens pour préserver de la destruction les derniers mots dictés aux personnes aimées et les documents de leurs cinq longues années de souffrance et d’aventures, la récupération de ces précieux documents devrait être le but pour lequel des efforts persévérants doivent être accomplis et être présentés comme un objet digne de récompenses.

Le meilleur hommage qu’on pourrait faire aux premiers et seuls martyrs des grandes découvertes arctiques de ce siècle serait une ultime expédition nationale dans ce but sacré. Les objections à une répétition inutile de cette tentative seront irréfutables lorsqu’un effort adéquat pour l’atteinte de ces objectifs aura été fait en vain; alors l’Angleterre pourra penser qu’elle est déchargée de ses responsabilités et pourra clore avec honneur un des épisodes les plus nobles de l’histoire de sa marine.

J’ai abusé trop longtemps de la patience de Vos Seigneuries, je vous supplie de m’en pardonner, tout en renouvelant mes protestations respectueuses contre l’attribution imminente de la récompense et ma demande fervente qu’elle soit remise au moment où le résultat de la dernière expédition sera connu.

Veuillez accepter, etc.

(Signé) JANE FRANKLIN.

Illustrations des sources (6)

À propos de ce document

  • Auteur: Lady Jane Franklin
  • Publication: Further Papers Relative to the Recent Arctic Expeditions in Search of Sir J. Franklin and the crews of Her Majesty's Ships "Erebus" and "Terror"; including the reports of Dr. Kane and Messrs. Anderson and Stewart.
  • Publié par: Harrison et fils
  • Lieu: Londres
  • Date: 1856
  • Page(s): 58-63
Sunken ship