La lettre récapitulative de Hall à Grinnell (1869)

Baie de Repulse, 20 juin 1869.

MONSIEUR: Je suis rentré aujourd’hui d’une excursion en traîneau de quatre-vingt-dix jours aller-retour à la terre du Roi-Guillaume. Mon objectif était (et toutes les préparations avaient été faites en ce sens) de faire ce voyage la saison dernière; mais mon attention ayant alors été détournée vers la péninsule de Melville, près du détroit de Fury et Hecla, où des rapports d’autochtones faisaient état de la présence d’hommes blancs, j’ai dirigé mon expédition là-bas en passant par Am-i-toke, les îles Oo-glit et Ig-loo-lik, avec le vif espoir et l’intention de rescaper les derniers compagnons encore en vie de sir John Franklin.

Le résultat de mon expédition en traîneau à la terre du Roi-Guillaume peut se résumer ainsi : aucun des compagnons de sir John Franklin ne s’est rendu à l’île de Montréal ou y est mort. Crozier et son groupe d’environ quarante ou quarante-cinq sont passés à l’ouest de la côte de la terre du Roi-Guillaume près du cap Herschel à la fin juillet 1848. Le groupe tirait deux traîneaux sur la mer de glace qui en était presque à sa dernière étape de dissolution : un gros traîneau chargé d’une chaloupe couverte d’un auvent et l’autre, un petit chargé de provisions et de matériel pour le campement. Juste avant l’arrivée de Crozier et de son groupe au cap Herschel, ils ont rencontré quatre familles d’autochtones et les deux groupes ont campé l’un près de l’autre.

Deux Esquimaux qui faisaient partie de ce groupe d’autochtones m’ont donné des renseignements d’une grande tristesse mais particulièrement intéressants. Une partie du récit m’a causé de la tristesse entremêlée de rage, car ils ont confessé qu’avec leurs compagnons, ils ont secrètement et rapidement abandonné Crozier et son groupe aux souffrances et à la mort à cause du manque de provisions fraiches alors qu’en vérité les autochtones auraient pu sauver chacun des hommes.

La trace suivante de Crozier et de son groupe se trouve dans le squelette que McClintock a découvert un peu plus bas au sud et à l’est du cap Herschel; il n’a jamais été trouvé par les autochtones. La trace suivante est le campement sur la rive de la terre du Roi-Guillaume à environ trois milles à l’est de la rivière Pfeffer où deux hommes sont morts et ont été enterrés selon le rite chrétien (?). À cet endroit des os de poissons ont été trouvés par les autochtones ce qui leur a indiqué que pendant qu’ils étaient là Crozier et son groupe avaient pêché des poissons appartenant à des espèces excellentes à manger et qui abondent dans la mer. La trace suivante de ce groupe se retrouve à environ cinq ou six milles à l’est sur une longue pointe basse de la terre du Roi-Guillaume où un homme est mort et a été enterré. Ensuite, environ deux milles et demi plus loin au sud-sud-est, la trace suivante se retrouve sur l’îlet de Todd où se trouvent les dépouilles de cinq hommes. La trace suivante de ce groupe est sur le côté ouest de l’îlet, à l’ouest de la pointe Richardson, sur une terre basse qui est une île ou une partie de terre selon la marée. Ici la chaloupe avec un auvent et les restes d’environ trente ou trente-cinq hommes du groupe de Crozier ont été trouvés par l’autochtone Poo-yet-ta dont sir John Ross a donné une description dans le récit de son voyage sur le Victory en 1829-1834.

Au printemps de 1849, une grande tente a été trouvée par les autochtones que j’ai rencontrés, le plancher était complètement couvert avec les dépouilles d’hommes blancs. Tout près il y avait deux tombes. Cette tente était un peu à l’intérieur des terres près de l’embouchure de la baie de Terror. Au printemps 1861, lorsque la neige était presque toute partie, un groupe esquimau dirigé par un autochtone bien connu dans les régions nordiques a trouvé deux chaloupes avec plusieurs squelettes à l’intérieur et tout autour. Une de ces chaloupes avait déjà été trouvée par McClintock; l’autre a été trouvée à un quart ou un demi mille et elle devait être complètement ensevelie sous la neige au moment où les groupes de McClintock étaient là ou ils l’auraient assurément vue. A l’intérieur et autour de la chaloupe, à côté des squelettes dont j’ai parlé, ont été trouvées plusieurs reliques, la plupart de la même nature que celles trouvées par McClintock dans la chaloupe qu’il a découverte.

[...]

J’aurais pu facilement ramasser de grandes quantités – une très grande variété – de RELIQUES de l’expédition de sir John Franklin car elles sont maintenant possédées par des autochtones de toutes les régions de l’Arctique que j’ai visitées ou dont j’ai entendu parler – de la baie de Pond au fleuve Mackenzie. En réalité, j’ai dû me contenter de charger environ 125 livres de reliques des autochtones de la terre du Roi-Guillaume sur nos traîneaux. Voici une liste partielle :

1. Une partie d’un côté (plusieurs planches et membrures attachées ensemble) d’une chaloupe bâtie à clin et avec une armure de cuivre. Cette partie de la chaloupe provient de celle trouvée près de la chaloupe trouvée par le groupe de McClintock.

2. Un petit patin de traîneau en chêne provenant du traîneau sur lequel était la chaloupe.

3. Une partie du mât du navire du passage du Nord-Ouest.

4. Un étui avec un chronomètre et ses chiffres avec le nom du fabricant et la flèche de la Reine gravés.

5. Deux feuilles de cuivre, longues et lourdes, trois et quatre pouces en largeur, avec des trous fraisés pour des vis. Sur ces feuilles, ainsi que sur presque tout qui provenait du navire du passage du Nord-Ouest, se retrouvent plusieurs étampes de la flèche de la Reine.

6. Une table à écrire en acajou, minutieusement finie et assemblée avec du laiton.

7. Plusieurs assiettes, fourchettes et cuillères en argent portant les armoiries et les initiales de leurs propriétaires.

8. Des parties de montres.

9. Des couteaux et plusieurs autres choses que vous, M. Grinnell, et d’autres personnes intéressées par le sort de l’expédition Franklin voudront tristement inspecter à leur arrivée aux Etats-Unis. J’ai rapporté un squelette entier aux Etats-Unis.*

La même année où l’Erebus et le Terror ont été abandonnés l’un d’eux a achevé la traversée du passage du Nord-Ouest avec cinq hommes à bord. La preuve de ce nombre exact est circonstancielle. Tout dans ce navire du Passage du Nord-Ouest était en ordre. Il a été trouvé par des autochtones Ook-joo-lik près de l’île O'Reilly, lat. 68° 30' N., long. 99° O., au début du printemps 1849 gelé dans des glaces flottantes formées au cours d’un seul hiver.

* Quelque temps après son retour, après avoir beaucoup hésité comme s’il avait commis une faute, Hall a placé la dépouille soigneusement préservée sous la responsabilité de M. Brevoort, de Brooklyn, qui l’a transférée à l’amiral Inglefield, M. R., afin qu’elle soit retournée en Angleterre. Le squelette à subséquemment été identifié (par l’obturation d’une dent) comme étant la dépouille du lieutenant [Le] Vesconte de l’Erebus. (Voir la revue Geographical Magazine, Londres, avril 1878.)

Illustrations des sources (4)

À propos de ce document

  • Auteur: Charles Francis Hall
  • Destinataire: Mr. Henry Grinnell
  • Publication: Narrative of the Second Arctic Expedition Made by Charles F. Hall
  • Publié par: Government Printing Office
  • Lieu: Washington D.C.
  • Date: 1869
  • Page(s): 415-418
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