Lettre de Francis Crozier à James Ross ( 9 juillet 1845 )

I Whalefish - 9 juillet 1845

Mon cher James

Je ne peux laisser partir le navire de ravitaillement sans t’écrire quelques lignes même si je n’ai presque rien à dire. M’occuper de tous ces détails me place dans un état d’esprit qui est loin d’être idéal pour écrire une lettre. Nous sommes arrivés ici le matin du 4 et depuis nous sommes occupés à décharger et entreposer ce qu’il y avait dans le navire de ravitaillement. Quel travail assommant de ranger des choses dans un si petit espace. Le tirant est maintenant de 16 pieds et les provisions ne sont pas encore toutes à bord. Je retourne notre plus gros canot (et une chaloupe pleine de charbon), 2 ancres et câbles – le tillac de fer, les bossoirs et diverses autres choses qui sont lourdes car je pense qu’il est mieux d’avoir des provisions pour la suite des choses. Comme ta présence me manque. Je ne supporte pas d’aller à bord de l’Erebus. Sir John est très aimable et me demanderait d’y souper tous les jours si j’y allais; il reçoit Fitzjames et 2 officiers chaque jour.

Tout se passe bien et en toute quiétude mais j’ai peur que nous soyons très en retard. D’après ce qu’on a appris le temps ici a été très rude avec des vents forts de l’est, mais les glaces se sont brisées tôt et les baleiniers nous ont dit que le poisson est abondant et que les bateaux ont pu naviguer jusqu’aux îles des Femmes (73˚). J’ai peur qu’en étant si en retard nous n’aurons pas le temps de visiter les alentours et que nous pourrions faire la gaffe d’entrer dans les glaces et se refaire un deuxième 1824. James j’aimerais que tu sois ici pour être certain d’être sur la bonne route. Je dois en finir avec toutes ces bêtises. Je n’ai pas la tête à rugir par contre – en fait je n’ai jamais été si peu disposé à le faire. Je suis, je te l’assure, en train de devenir un peu philosophe et j’espère qu’avant la fin de la saison je me serai entraîné à ne pas me tracasser pour un rien. J’ai demandé au sgt d’aller chercher des spécimens, mais il a mal commencé en tombant et en brisant la crosse de mon fusil. Les algues sont rares et je n’ai pas encore cherché de plantes car j’ai été très occupé avec les inclinaisons et tout le reste. J’ai envoyé un résumé au col Sabine parce que jusqu’à maintenant notre traversée n’a pas été très favorable pour l’observation; la mer était toujours grosse et il pleuvait beaucoup, des journées difficiles, et je ne pouvais pas prendre les azimuts; les cordes sont très lourdes et une fois en marche difficiles à arrêter et la motion irrégulière du navire rendait l’arc de vibration très changeant. J’ai souvent le désir de retrouver mon ancien [instrument] car je suis certain que je me serais mieux débrouillé. Les nouveaux compas semblent parfaits en eau calme, mais dans la grosse mer je ne peux pas en dire du bien. Je n’ai pas essayé les billes pour vérifier les vibrations parce qu’elles ne sont pas régulières et je ne voulais pas perdre mon temps car on sera bientôt en eau calme et elles seront alors beaucoup plus utiles. Pourquoi suis-je parti si loin sans avoir dit un mot à propos de ma chère « tu sais qui » qui, je l’espère du fond du cœur, a bénéficié du changement d’air et de l’éloignement de Blackheath qui est si inconfortable. J’aurais aimé voir ta maison afin de pouvoir t’imaginer vaquer à tes petites occupations. Avec les bénédictions de Dieu sur ma Dame, j’irai te retrouver dès mon retour; quoiqu’il arrive une chose est certaine, le moment où on se reverra sera une source de grand plaisir. J’espère que ton fils se porte bien, le temps doux de l’intérieur doit lui être bénéfique. Blackheath était un endroit où lancer les recherches. Goodsir sur l’Erebus est un bon travailleur avec un grand enthousiasme pour les mollusques; il semble très à l’aise et comme Hooker il ne flâne jamais; il dessine rapidement de parfaites esquisses de tout ce qu’il collecte et de la façon la plus rudimentaire; et comme Rae, il intérèsse tout le monde autour de lui à ses recherche; il est une très belle acquisition. Irving (le 3e lieut.) fait bien le travail de cartographie que je lui demande – c’est un bon travailleur. Tout se passe bien mais cher James je suis très seul, personne sur les deux navires à qui je peux parler. « Personne avec qui je suis fait pour m’entendre pour ainsi dire ». Je suis généralement occupé mais c’est une vie d’ermite; s’il ne m’arrivait pas d’avoir une bonne empoignade avec le timonier ou d’’injurier Totson [?], j'entendrais à peine le son de ma propre voix. Le navire de ravitaillement est presque vide et ni sucre ni thé ne sont apparus. Je déplore surtout la perte du sucre; je peux me passer de thé. Quoi qu’il en soit, je ne peux rien dire de bon sur la ponctualité de Fortnum & Masons.

Je n’oublierai pas les esquisses de « tu sais qui »; d’après ce que j’ai vu, quelqu’un aurait particulièrement bien dessiné l’« Erebus ». Je vais m’assurer que cela ne devienne pas une course à la vapeur; je rêve de renvoyer le moteur sur la ligne de Dove avec le mécanicien assis dessus. Ce misérable ingrat n’est qu’une source de problèmes et il est très insatisfait car il n’a pas de quartiers-maîtres chauffeurs pour l’aider à ne rien faire à bord de l’Erebus. J’ai dû renvoyer un armurier et un maître-voilier à la maison car ils étaient parfaitement inutiles au travail ou pour quoi que ce soit d’autre; j’ai aussi 2 hommes invalides ce qui réduit l’équipage de 68 à 62, bien sûr cela réduit la pression sur les provisions et nous laisse tout de même un équipage plus nombreux que sur le Hecla et le Fury. Je m’occupe de la baro à partir de ma cabine; je prends le point le plus bas avec régularité une fois par jour, pour les mois d’hiver à venir. Je l’ai maintenant fréquemment. Sur l’Erebus le baro est une pauvre chose faite par Partorelli qui ne lit qu’environ aux 100. C’est tout aussi bien. Ils semblent être très préoccupés par toutes ces idées sabinesques.

Eh bien mon cher ami, je ne sais pas quoi te dire de plus. Je ne me sens pas d’attaque pour hiverner. En vérité je me sens très seul et je peux y voir la cause lorsque je repense au dernier voyage. Donc aucun espoir de sentiments plus joyeux. Toute cette agitation en mer, eh bien, c’est ma vie et quoi qu’il arrive je vais tenter d’y trouver satisfaction jusqu’à la fin. En lisant les directives j’ai découvert que Fitzjames est nommé surintendant des observations mag. Je ne vais donc m’en occuper que pour m’amuser sans me considérer comme un membre de cette équipe. Que Dieu te bénisse sans oublier ton fils, et je te prie

d’accepter mes salutations les plus sincères

FRM Crozier

À propos de ce document

  • Auteur: Francis Crozier
  • Destinataire: James Ross
  • Archive: Scott Polar Research Institute
  • Collection: GB 15 Francis Crozier Collection Ms 248 / 364; 26
  • Date: 9 juillet 1845
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