Ahlangyah raconte à Schwatka avoir vu les hommes de Franklin vivants et morts (1882)

Parmi les autochtones du voisinage se trouvait une Netchellike nommée Ahlangyah, âgée d’environ cinquante-cinq ans. Elle s’est avérée faire partie d’un groupe qui avait rencontré quelques survivants des navires échoués dans la baie de Washington. Elle a montré la côte est de la baie comme étant l’endroit où, il y a plusieurs années, en compagnie de son époux, de deux autres hommes et de leurs épouses, elle avait vu dix hommes blancs tirant un traîneau avec une chaloupe dessus. Le traîneau était sur la glace et une large fissure les séparaient des Inuits. Les femmes se sont rendues sur la rive et les hommes ont attendu les étrangers blancs à l’endroit de la fissure dans la glace. Cinq hommes blancs ont monté une tente sur la rive; les cinq autres sont restés dans la chaloupe. Les Inuits ont érigé une tente près des hommes blancs et les deux groupes sont restés ensemble pendant cinq jours. Pendant cette période, les Inuits ont tué plusieurs phoques sur la glace et les ont donnés aux blancs. Ahlangyah a dit que les étrangers avaient donné un couteau à son époux. A la fin des cinq jours, ils sont tous partis vers la péninsule Adelaide; ils craignaient de ne pouvoir traverser s’ils attendaient plus longtemps, car la glace était très mauvaise; ils ont voyagé la nuit lorsque le soleil était bas parce que la glace serait alors un peu prise. Les hommes blancs ont suivi, mais comme le traîneau et la chaloupe étaient lourds, ils ne pouvaient se déplacer aussi rapidement que les Inuits qui se sont arrêtés et les ont attendus à la pointe Gladman. A cause de la mauvaise condition de la glace, les Inuits ne pouvaient traverser sur le continent et sont restés sur la terre du Roi-Guillaume tout l’été. Ils n’ont jamais revu les hommes blancs bien qu’ils aient attendu à la pointe Gladman, pêchant dans les lacs avoisinants, faisant des allers-retours entre la rive et les lacs presque tout l’été pour finalement traverser sur la côte est.

Les hommes blancs, a dit Ahlangyah, ne portaient pas de vêtements de fourrure; certains étaient très maigres et ils avaient la bouche dure et sèche et noire. Lorsqu’on lui a demandé si elle se souvenait des noms de n’importe lesquels des hommes blancs, elle a dit qu’un d’eux se nommait "Agloocar" et l’autre "Toolooah". Comme ce sont des noms communs chez les Esquimaux, nous devons supposer que les noms qu’elle avait entendus avaient un son semblable aux noms esquimaux et se sont ainsi imprimés dans sa mémoire. Un autre des étrangers se nommait "Ook-took " (docteur). "Too-looah" était un peu plus vieux que les autres et il avait une longue barbe noire mêlée de gris. Il était plus grand que les autres – "un homme grand et large". "Agloocar" était plus petit et il avait une barbe brune d’environ quatre ou cinq pouces. "Ook-took" était petit avec un gros ventre et une barbe rousse de la grosseur de celle d’"Agloocar".

Ahlangyah a terminé son témoignage en disant que, au printemps suivant, lorsqu’il n’y avait presque plus de neige sur le sol, elle avait vu une tente montée sur la rive de l’embouchure de la baie Terror. Il y avait des corps dans la tente et à l’extérieur et il y en avait d’autres recouverts de sable. Les corps n’avaient plus de chair, rien que les os et les vêtements. Elle n’a rien vu qui indiquait qu’ils faisaient partie du groupe qu’elle avait rencontré. Les cordes ou tendons étaient encore attachés aux os. A l’extérieur il y avait une ou deux tombes que les autochtones n’ont pas ouvertes à ce moment-là. Il y avait de nombreux objets éparpillés ici et là, comme des couteaux, des fourchettes, des cuillères, des montres, plusieurs livres, des vêtements et des couvertures.

Un des membres du groupe de Schwatka a dit que lorsqu’elle a terminé son récit, "nous lui avons donné quelques aiguilles, des cuillères, un poêlon en fer et d’autres articles qui la dédommagerait bien pour tous ses efforts. Voilà une femme qui avait vu les malheureux explorateurs, affamés, et son récit nous intéressait au plus haut point. Chaque mot qu’elle prononçait faisait craindre la pire tragédie et elle semblait partager notre intérêt car son visage était très expressif. Il pouvait être attristé par l’énumération des piteuses conditions des hommes blancs et ses yeux s’emplissaient de larmes lorsqu’elle se rappelait la triste scène au campement où ils étaient si nombreux à avoir péri et où leurs corps étaient devenus nourriture pour les bêtes sauvages.

Il semble que ceux qui avaient péri dans la crique appartenaient à un groupe qu’elle avait rencontré sur la terre du Roi-Guillaume. Elle et ses amis ne pouvaient pas traverser le détroit de Simpson mais les hommes blancs ont continué sur la mauvaise glace; ils se seront probablement sentis obligés de prendre leurs chaloupes et puis, à la grâce du vent et de la glace et après avoir perdu d’autres compagnons près de la rivière Pfeffer et des îles Todd, ils auront dérivé dans la crique où leurs corps ont été retrouvés dans la chaloupe. On ne saura probablement jamais combien de temps cela leur a pris pour arriver à cet endroit, mais il ne fait aucun doute qu’ils étaient dans un état critique; en fait, comme d’autres témoins nous l’apprendront plus tard, il y avait des preuves presque indubitables qu’ils avaient dû se résoudre au cannibalisme jusqu’à ce qu’ils meurent de faim. Au moins tous, sauf un dont la dépouille a été trouvée pendant l’été après notre visite à environ cinq milles plus loin à l’intérieur."

Illustrations des sources (4)

À propos de ce document

  • Auteur: Frederick Schwatka
  • Publication: The Search for Franklin: A Narrative of the American Expedition under Lieutenant Schwatka, 1878 to 1880
  • Publié par: T. Nelson et fils
  • Lieu: Edinburgh and New York
  • Date: 1882
  • Page(s): 35-38
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