UN APPEL À LA JUSTICE
La tragédie survenue à Lucan a été un véritable choc pour l’âme chrétienne du pays. Mais elle a permis par la même occasion de montrer que cette âme chrétienne est d’une trempe exceptionnelle. Dans cette affaire, la beauté de son sens moral s’exprime à travers la bouche de passions hideuses –passions d’une haine nationale et religieuse. Personne ne peut nier le fait que tous, les victimes assurément et les assassins probablement, soient nés au sein de l’Église catholique, s’ils n’y ont pas vécu. Mais l’humanité courante, horrifiée comme il se doit par le crime perpétré à Biddulph, dirige ce sentiment d’horreur non pas vers l’humanité courante, mais vers une partie de ce tout – la partie qui est catholique irlandaise! Des histoires à sensation au sujet du meurtre sont resservies dans les journaux chaque matin, truffées de déclarations soulignant que les parties intéressées sont catholiques, sont irlandaises, sont des hommes de Tipperary; et qu’elles ont été élevées par des mères et des pères selon un code de sang qui, propre à Tipperary, aux Irlandais, aux catholiques, reproche aux enfants d’être dégénérescents s’ils n’ont pas « tué leur homme »! Nous connaissons des centaines de catholiques irlandais autour de Lucan qui sont des hommes honnêtes, respectueux de Dieu, qui sont d’aussi bons citoyens que quiconque dans la province. Néanmoins au milieu d’eux une bande de meurtriers telle que l’on peut en trouver n’importe où ailleurs, a révélé son existence en chair et en os; et nous devons aux nombreux catholiques irlandais de Biddulph, tous fils du vertueux comté de Tipperary autant qu’ils sont, de protester au nom de la morale du pays contre la licence qui favorise les antipathies nationales et religieuses en montrant ces hommes comme étant un peuple de brutes.
L’atroce histoire de Biddulph n’est pas une première dans l’histoire du crime. En Angleterre et en Écosse on retrouve de tels événements dans les archives des tribunaux criminels. Au Kentucky, sans parler des autres états de l’Union américaine, des massacres encore plus révoltants ont fréquemment été commis au cours des dix dernières années. Nous soulignons de tels faits non dans l’intention de soulager le sentiment d’indignation du pays quant à l’affaire qui nous concerne; mais pour enseigner comment accomplir son devoir de revendication du caractère sacré de la vie humaine sans que cela dégénère en une injustice aveugle aux yeux des nombreux bons citoyens qui regardent l’horreur de Biddulph avec toute l’émotion naturelle devant une telle action posée par des hommes chrétiens. Or, quand les journaux rapportent les cent atrocités parmi lesquelles se trouve celle de Biddulph, ajoutent-ils dans l’une des quatre-vingt-dix-neuf autres, que les victimes sont protestantes, que les meurtriers sont protestants? Parmi ces nombreux crimes enregistrés depuis quelques années par nos journaux pour la presse américaine, jamais un mot n’a été écrit pour mettre un seul d’entre eux sur le compte des confessions religieuses des meurtriers – sur le compte des protestants. Les catholiques irlandais n’ont sans doute jamais songé à cette discrimination; mais ont placé chaque crime au niveau qui lui revient – non pas au niveau des classes, des croyances ou des nationalités, mais à celui de l’humanité courante. Ce simple contraste ne fait-il pas honte à ceux qui ont entretenu des antipathies nationales et des animosités religieuses, en reproduisant à Biddulph un crime révoltant perpétré au Kentucky, pour apposer la marque du meurtre sur le front des hommes originaires de Tipperary, des Irlandais, des catholiques, de Biddulph même, cette vaste communauté d’hommes honnêtes et disciplinés qui ont mis leurs vertus civiques à l’épreuve en transformant la forêt canadienne en de petites fermes prospères et accueillantes?