Peter Kelly et Hugh Kemp (CBC), « Questions et réponses avec le Dr Noble Sharpe », [1968-9?]
Le Dr Noble Sharpe, interviewé par la C.B.C.
Q : Savez-vous si une ligne à pêche a tendance à s’enrouler autour d’un corps en mouvement dans l’eau, etc.?
R : Je ne l’ai jamais vu moi-même, mais j’ai lu qu’une ligne à pêche peut s’enrouler autour du corps sous l’effet de la rotation, due aux vents, aux courants et aux vagues.
Q : Avez-vous déjà eu connaissance d’une dispute entre Tom Thomson et un Américain propriétaire d’un cottage?
R : À l’époque, j’ai toujours entendu dire que l’homme avec qui il s’était disputé était allemand et non américain. Cela démontre seulement que les souvenirs peuvent changer.
Q : Avez-vous l’impression que le Dr Howland puisse ne pas avoir remarqué un trou de balle dans le crâne au moment où il a procédé à l’examen du corps?
R : J’ai fait des stages, lorsque j’étais étudiant, auprès du Dr Howland. Je crois qu’il était neurologue, mais je ne suis pas sûr que ce terme était utilisé à l’époque. Tous ses étudiants le considéraient comme un fin observateur. Je ne pense pas qu’il aurait été incapable de distinguer une ecchymose d’une blessure par balle. L’ecchymose et le saignement me laissent croire que Tom Thomson a pu glisser sur un rocher et tomber dans l’eau, inconscient. Si c’est le cas, qu’il ait su nager ou non n’aurait fait aucune différence.
Q : Le fait que l’on n’ait pas trouvé d’eau dans les poumons de Thomson indique-t-il qu’il ait pu être tué avant d’être jeté dans l’eau?
R : Dans près de dix pour cent des noyades attestées, on ne retrouve pas d’eau dans les poumons en raison d’un spasme de la gorge. À l’issue de plusieurs jours passés dans l’eau tiède, la décomposition masquerait tous les indices et il ne serait pas possible d’affirmer avec certitude que la noyade est la cause du décès.
Q : Avez-vous déjà vérifié auprès de Winnie Trainor ce qu’elle pensait de l’exhumation de Tom en 1917?
R : La dame dont vous parlez (Mlle Trainor) m’a téléphoné plusieurs fois en 1956-57. Elle était très indignée et a insisté sur le fait qu’elle et son père étaient présents lorsque l’entrepreneur de pompes funèbres est revenu et qu’ils étaient certains que le corps se trouvait dans le cercueil, mais je n’ai pu lui faire dire s’ils avaient réellement regardé à l’intérieur.
Q : Quand Mark Robinson est allé voir l’emplacement de la tombe après l’exhumation le 18 juillet 1917, il a affirmé qu’il semblait n’y avoir qu’un trou de la même grosseur qu’un trou de marmotte. Pouvez-vous commenter?
R : Après l’exhumation, j’ai été surpris de constater à quel point nous avions laissé peu de traces sur le sol en raison du type de sol et de l’abondance de matière végétale. Si un cercueil a été utilisé, je ne peux comprendre qu’il ne soit resté qu’un trou de marmotte.
Q : Le Dr Grant a-t-il été avisé qu’on soupçonnait que le corps qu’il devait examiner puisse être celui de Tom Thomson?
R : Je ne pense pas que nous ayons dit au professeur Grant qu’il pouvait s’agir de Tom Thomson, mais nous lui avons simplement demandé comme à l’habitude de nous révéler la race, le sexe, l’âge, la taille, les fractures, maladies ou malformations osseuses et, si possible, d’attester la date de l’inhumation.
Q : Aviez-vous un équipement à rayons X dans votre laboratoire en 1956 et, si oui, quand vous avez examiné le corps, avez-vous obtenu des indices quant à ce qui aurait pu causé le trou dans le crâne?
R : Je ne me souviens pas si nous pouvions faire des radiographies dans notre laboratoire en 1956. J’ai demandé à un spécialiste de radiologie bien connu, le Dr A. Singleton, de faire les rayons X. Il y avait un trou dans les régions temporales du crâne. (Je me souviens que lors de l’exhumation nous avions tous sauté à la conclusion que c’était Tom Thomson et qu’il avait reçu une balle.) Il n’y avait aucune balle et le crâne était trop intact pour qu’elle ait pu s’échapper à moins qu’elle ait ricoché à l’intérieur avant de ressortir par le même trou par lequel elle était entrée. Aussi, il n’y avait pas de fracture qui partait de ce trou et les bords du trou n’étaient pas biseautés. Le Dr Singleton, le professeur E. Linnell du Dép. de neuropathologie et moi-même avons déterminé qu’il s’agissait d’une blessure laissée par une trépanation. (Aujourd’hui, je ferais une analyse par activation de neutrons pour découvrir des traces d’antimoine et ainsi éliminer la théorie de la balle.) La trépanation, même si elle était pratiquée par des tribus anciennes, n’est devenue pratique courante qu’après la mort de Thomson.
: Croyez-vous que d’autres autorités médicales rejetteraient votre diagnostic voulant qu’il s’agisse du corps d’un Indien?
R : Je ne pense pas que quelque expert que ce soit rejetterait notre hypothèse voulant que notre squelette soit celui d’un Indien.
Q : Saviez-vous que l’on doutait fortement que l’entrepreneur de pompes funèbres M. Churchill de Huntsville, ait jamais exhumé le corps de Tom Thomson ou qu’il l’ait envoyé à Owen Sound?
R : Ce n’est pas ce que j’ai entendu dire. On m’a dit que l’entrepreneur de pompes funèbres affirmait catégoriquement avoir retiré le corps et qu’il était indigné d’être l’objet d’une telle réflexion. (Mais personne n’a vérifié et je ne peux le leur reprocher; le corps devait avoir une apparence bien désagréable à cause de la décomposition.)
Q : Quel est votre avis au sujet de l’admissibilité d’ouvrir la tombe située à Leith pour déterminer si un corps y est enterré?
R : J’aurais sincèrement souhaité que cela ait été fait et que la question ait été réglée.
Q : Pensez-vous, comme certaines personnes, que Tom Thomson pourrait toujours être inhumé au parc Algonquin?
R : Je pense moi aussi que Tom Thomson est peut-être encore enterré quelque part dans le parc, mais je pense aussi que nous avons pu ouvrir sa tombe originale et qu’il ne s’y trouvait pas. Nous avons creusé assez profondément pour éliminer la possibilité qu’il ait pu y avoir un deuxième squelette. Je peux très bien imaginer qu’un Indien ait plus tard été enterré ni vu ni connu dans la tombe de Thomson pourvu qu’aucun cercueil n’ait été utilisé.
Q : Si vous aviez disposé de l’équipement scientifique actuel, auriez-vous pu estimer avec plus de précision la date de l’enterrement et si vous aviez obtenu des photos de Thomson en 1956, auriez-vous pu poser un diagnostic plus exact?
R : Aujourd’hui, nous pouvons estimer la date de l’inhumation avec plus de précision que nous pouvions le faire à l’époque, mais tellement de facteurs entrent en ligne de compte. Nous ne pouvons toujours pas donner d’estimation précise. Si j’avais pu obtenir des photos de face et de profil de Tom Thomson, j’aurais pu les reproduire à l’échelle et les comparer avec les empreintes des os du crâne. Les fiches dentaires n’étaient pas d’une grande utilité dans ce cas-ci.
Q : Sous quel motif pourrait-on ouvrir la tombe de Leith?
R : Comme il circule encore des rumeurs voulant que Tom Thomson ait été assassiné par ce déserteur, il serait possible d’utiliser cet argument pour justifier l’exhumation à Leith. Je doute qu’il soit un jour exhumé de sa tombe originale. […]