Entrevue avec David Woodman
David Woodman a mené une série d’expéditions arctiques à la recherche de preuves liées aux navires et aux hommes de Franklin. Il a écrit Unravelling the Franklin Expedition, un livre basé sur des témoignages inuits du dix-neuvième siècle.
Lyle Dick – Entrevue avec David Woodman, auteur réputé sur l’histoire de la dernière expédition de sir John Franklin et du livre Strangers Among Us.
1) Quand et comment avez-vous entendu parler de la dernière expédition de sir John Franklin?
J’ai fait mes études à U of T [Université de Toronto] et je me souviens très nettement d’un vendredi soir, alors que je sortais de la bibliothèque John-Robarts, dans la pile de livres à être retournés sur les tablettes, celle à laquelle vous ne devez pas toucher parce qu’ils ont déjà été traités, juste sur le dessus, il y avait un livre, The Voyage of the Fox. Comme j’aimais beaucoup Conrad, j’avais déjà lu tout ce qui contenait « The Voyage of » dans le titre. Il a attiré mon attention. Je l’ai alors pris en pensant que c’était une œuvre de fiction et, bien sûr, c’était le récit de l’expédition de McClintock qui a trouvé les premières dépouilles de l’expédition Franklin que j’avais probablement étudiée en histoire du Canada au secondaire, mais que j’avais oubliée. Juste au milieu il y avait le document de la pointe Victory disant que les navires avaient été abandonnés à cet endroit. À dix-neuf ans, j’ai pensé « c’est beaucoup plus facile que je pensais. J’ai juste à aller à cet endroit, peut-être faire un trou dans la glace, plonger, trouver l’épave et c’est fait! ». J’ai classé ça dans ma tête et j’ai commencé à lire tout ce qui existait sur l’expédition Franklin, complètement concentré sur l’endroit où pouvaient être les navires. Je n’étais pas intéressé par le désastre, je n’étais pas intéressé par l’ensemble des paramètres de l’histoire de l’exploration. J’étais un jeune qui faisait de la plongée et tout ce que je voulais, c’était trouver le navire et y poser mes palmes. Je n’ai jamais été un collectionneur, je ne voulais pas en prendre des morceaux ou quoi que ce soit; je voulais simplement me rendre là, trouver le navire que personne n’avait trouvé, rentrer à la maison et dire à tous mes copains plongeurs que je l’avais trouvé!
2) Qu’est-il arrivé à l’équipage de Franklin?
En un mot : trop de géographie, trop peu de temps. Je pense qu’ils étaient dans une situation dont ils ne pouvaient sortir que perdants. Je pense que si un avion moderne s’écrasait aujourd’hui sur la côte ouest de l’île du Roi-Guillaume avec vingt-neuf personnes à bord sans soutien, tout le monde mourrait aussi. Ils étaient emprisonnés : ils ont été capturés par une nature très cruelle, car le détroit de Peel est normalement ouvert à cette période. Aujourd’hui il est presque toujours ouvert, mais à cette époque, dans les années 1840, il était ouvert à peu près huit années sur dix et les deux autres années, il était complètement solidifié. Ils y sont entrés dans une année ouverte, il s’est solidifié après leur passage et il est resté tel quel chaque fois que quelqu’un est venu les chercher. Ainsi tous ceux qui sont venus à leur recherche ont regardé le long du détroit de Peel et ont pensé qu’ils ne pouvaient pas être allés par là et ont regardé ailleurs.
3) Pourquoi ont-ils échoué?
Comme je l’ai dit, on échouerait aussi avec leurs technologies et sans hélicoptères pour nous sauver. Il est de bon ton à l’époque moderne de jeter le blâme sur leur processus de décision ou leur technologie. Jusqu’à un certain point, la technologie était simplement inadéquate : des bottes de cuir et des vêtements de laine, les premiers aliments en conserve et en quantité insuffisante, des moteurs au charbon inefficaces – tout cela fait partie du blâme. Une autre partie, une autre tendance est qu’ils étaient trop nombreux sur des navires trop gros.
4) Où sont les navires?
Je pense qu’un des navires sera trouvé dans la baie Erebus à portée de vue de l’endroit de la chaloupe et c’est celui qui a rapidement sombré. Puis ils ont parlé d’un autre bateau seul, beaucoup plus loin au sud dans la baie Wilmot et Crampton près de l’île O’Reilly ou de la pointe Grant. Les indices géographiques sont ambigus.
5) Comment le savez-vous?
Je ne sais rien. Personne ne sait. Mon penchant, ma fenêtre au cœur de ce mystère, a toujours été la tradition inuite. Mettre en corrélation qui a dit quoi à qui, chercher les détails révélateurs, combien de jours ont-ils marché entre ce campement et ce campement, ce qu’ils ont trouvé à ce campement. Il faut aussi filtrer le fait que, pour un Inuit, tous les campements d’hommes blancs se ressemblent, tous les hommes blancs se ressemblent, tous les navires se ressemblent. Leur vision du monde n’est pas notre vision lorsqu’il s’agit de chronologie et de géographie, alors il faut, en premier, être un peu sceptique en écoutant les récits et se dire « Ce que j’entends, est-ce à propos de Parry [1833] ou de Ross ou est-ce que ça pourrait être Franklin? » Le filtre que j’ai utilisé était d’étudier tous les documents des explorateurs connus de l’Arctique, ceux qu’ils ont rapportés, et de trouver tous les détails qui ne pouvaient s’appliquer à eux, en présumant qu’il y avait des détails qui ne pouvaient pas s’appliquer à quelque chose de connu -- un peu comme la théorie de Sherlock Homes -- peut-être qu’ils s’appliquent à Franklin, la seule expédition pour laquelle on n’a pas de réponses.
6) Pourquoi cela vous importe-t-il?
J’aimerais dire que j’ai entendu un appel, mais quand j’étais un jeune homme je voulais simplement trouver l’épave. Je me suis intéressé à cette histoire au milieu de ma vie. Aujourd’hui je suis un vieil homme, j’essaie de justifier tous mes efforts et toute ma réflexion par le fait que certaines personnes sont appelées à repousser les frontières de l’expérience humaine ou se retrouvent dans cette position. Ils se rendent sur la Lune ou ils font quelque chose d’extraordinaire que le reste d’entre nous n’a pas la chance de faire ou que nous ne voulons pas faire. Ils y vont. Et s’ils meurent et qu’on ne sait pas ce qui leur est arrivé, il y a une dette à payer : on doit tenter de trouver ce qui leur est arrivé.
7) Quelle est l’importance de la dernière expédition de Franklin?
C’est difficile à dire parce que je sais pourquoi elle est importante à mes yeux, mais j’ai de la difficulté à expliquer pourquoi elle est importante pour quelqu’un d’autre. Je pense que Margaret Atwood et d’autres ont fait un bien meilleur travail pour tisser le récit de Franklin dans l’histoire du Canada et du monde et pour explorer comment la mythologie a partiellement aidé à façonner le Canada. Notre premier ministre construit un récit de souveraineté arctique à partir des explorations d’un groupe de marins britanniques. Il y a divers niveaux d’importance à partir des droits miniers et de l’Arctique qui s’ouvre à cause du réchauffement climatique jusqu’à on se sait quoi encore. Pour moi, l’importance se trouve dans les récits. Ils sont presque homériques. Cette histoire met en scène sa Pénélope, lady Franklin qui attend à la maison; il y a tellement d’éléments de cannibalisme, d’exploration et de l’homme contre la nature que c’est presque une histoire hors du temps. Quand vous y pénétrez, vous en retrouvez des échos un peu partout. C’est là son importance pour moi et je pense que quiconque s’y met sérieusement devient un peu fou de cette histoire.