Entrevue avec Ryan Harris et Jonathan Moore
Ryan Harris
Jonathan Moore
Ryan Harris et Jonathan Moore sont des archéologues subaquatiques à Parcs Canada. Depuis 2008, ils ont dirigé plusieurs grandes expéditions interdisciplinaires à la recherche des navires Erebus et Terror.
Lyle Dick : entrevue avec Ryan Harris et Jonathan Moore du Service d’archéologie subaquatique de Parcs Canada
1) Quand et comment avez-vous entendu parler de la dernière expédition de sir John Franklin?
RH : Eh bien, peut-être comme plusieurs Canadiens, mon premier contact avec Franklin s’est fait en écoutant Northwest Passage de Stan Rogers.
JM : Je pense avoir entendu parler de l’expédition lorsqu’il y a eu des travaux sur l’île Beechey pour exhumer trois corps de l’expédition Franklin; les travaux d’Owen Beattie et de ses collègues visaient à examiner les restes humains. Je me souviens de photos. Je pense que c’était au début des années 1980.
2) Qu’est-il arrivé à l’équipage de Franklin?
RH : Eh bien, le temps saura le dire. De toute évidence plusieurs théories ont été avancées sur ce qui a ultimement causé leur mort. J’ai tendance à partager l’opinion selon laquelle le destin de Franklin et de ses hommes a été scellé au moment où ils ont reçu leurs instructions de l’Amirauté le 5 mai 1845. Essentiellement, ces instructions imposaient à Franklin et aux deux navires de passer par l’ouest, par la baie de Baffin, le détroit de Lancaster et dans le détroit de Barrow. Et en arrivant au cap Walker, à l’île Russell, ils devaient spécifiquement se diriger vers le sud et l’ouest vers le continent américain pour tenter de se rendre aussi directement que possible au détroit de Béring. Ces instructions leur donnaient l’ordre de se diriger dans un des environnements les plus incléments au monde. En fin de compte, nous pensons que la route qu’ils ont choisie les a menés par le détroit de Peel, comme le dit John, où ils ont été pris dans le détroit de Larsen et se sont retrouvés dans un environnement très inhospitalier où il y avait très peu, trop peu de ressources pour qu’ils puissent y survivre.
3) Pourquoi ont-ils échoué?
RH : En bien, je dirais que de trop nombreux gérants d’estrade ont critiqué les décisions qu’ils ont prises et la sagesse de ces décisions. En général les opinions émises étaient à l’effet qu’ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas su adopter adéquatement les méthodes de survie inuites en Arctique et cette critique est souvent émise à l’endroit des équipages de la Marine royale. Au fond, comme nous l’avons dit, on leur a donné la tâche de tenter de survivre dans un lieu où même les Inuits ne se rendaient pas souvent, pour de bonnes raisons. Cette situation, jumelée au fait d’être enclavés dans une glace qui dérivait vers le sud à une vitesse presque glaciale, pour ainsi dire, a dû leur faire perdre tout espoir que la situation allait changer un jour.
4) Où sont les navires?
RH : De mon point de vue, je ne vois aucune raison de contester la version des évènements qui nous est parvenue des Inuits du dix-neuvième siècle telle que rapportée par McClintock, Hall et Schwatka et qui suggère que les deux navires se sont séparés, qu’un navire a été perdu quelque part à l’ouest de l’île du Roi-Guillaume dans des eaux profondes et que l’autre a trouvé un moyen de se rendre plus au sud, présumément dans les parties est du golfe de la Reine-Maud. Selon moi, un grand nombre de détails dans ces récits se recoupent et ces détails sont suffisamment frappants pour qu’il soit difficile de conclure qu’ils ne sont pas valides.
5) Comment le savez-vous?
RH : Ce que nous avons tenté de faire, bien sûr, c’est d’évaluer où la majorité des éléments de preuve nous amène. Nous avons regardé non seulement l’information historique et les témoignages inuits, mais aussi les facteurs environnementaux en étroite collaboration avec le Service canadien des glaces et Tom Zagon. Nous travaillons à partir d’une étude sur l’histoire de la climatologie glaciaire qui nous a fourni des renseignements très utiles sur l’emplacement probable des glaces à cette époque, comment elles se seraient formées et comment elles auraient dérivé et se seraient brisées au fil des saisons. Cela nous aide à resserrer la recherche en fournissant une liste de possibilités qui auraient limité les endroits où ces navires auraient pu se retrouver.
6) Pourquoi cela vous importe-t-il?
RH : Vous pourriez parler de fièvre ou de fanatisme franklinesque. Nous pensons que l’histoire de Franklin est très, très captivante. On ne parle pas ici de Moby Dick. Il n’est pas question de poursuivre la quête jusqu’aux confins de la terre. Nous recherchons ces navires parce que nous pensons que notre expertise et notre stratégie ont une chance raisonnable de permettre de retrouver ces navires. Bien sûr, les deux [navires] ont été désignés Lieu historique national en 1992. Nous avons donc une responsabilité institutionnelle au sein de Parcs Canada de tenter de localiser ces navires et cela nous permettra de communiquer leur importance à la population. Il va sans dire que ce sont des icônes de l’histoire maritime, pas seulement dans l’Arctique canadien, mais à l’échelle mondiale.
7) Quelle est l’importance de la dernière expédition de Franklin?
RH : Elle est multiple, bien sûr. La quête pour le passage du Nord-Ouest et les recherches subséquentes pour retrouver Franklin constituent un immense héritage géographique, car elles ont permis de cartographier des milliers et des milliers de kilomètres de ce qui forme l’archipel arctique canadien. On ne s’étonnera pas non plus que de nombreuses histoires sur l’exploration en général et l’exploration de l’Arctique canadien incluent Franklin.
JM : Je pense que, puisque les autres ont probablement couvert ce point, les épaves sont importantes où qu’elles soient à cause de leur potentiel archéologique pour nous dire ce qui est arrivé à cette expédition. De mon point de vue, c’est là l’importance de l’expédition. Bien sûr, il y a des considérations plus vastes, mais de mon point de vue d’archéologue, je pense qu’elle réside dans leur potentiel archéologique.