Les folkloristes emploient les entrevues dites « de terrain » depuis les années 1930 pour découvrir et préserver les traditions orales des populations qu’ils étudient. En rencontrant les résidents les plus âgés d’une communauté, ils espéraient conserver le savoir traditionnel, les contes et légendes, les chansons anciennes et les pratiques quotidiennes du passé. Les historiens ont pris beaucoup plus de temps à reconnaître la valeur des entrevues et de l’histoire orale, bien après les ethnologues, les anthropologues et les sociologues l’ont fait. Depuis les années 1970, les historiens recueillent des entrevues plus dirigées, à propos d’événements spécifiques, afin d’élucider comment les participants ont compris ce qui se passait à l’instant où les événements se déroulaient, mais aussi pour mieux comprendre comment on se souvient de ses événements et la force symbolique qu’ils ont acquise avec le temps.
Avec l’arrivée des technologies d’enregistrement, les entrevues ont pu être conservées au complet, d’abord sur disque vinyle, puis sur ruban ou cassette et aujourd’hui en formats numériques. Aujourd’hui, les entrevues sont aussi souvent filmées. Entendre une entrevue permet de suivre en détail la conversation entre l’intervieweur (le collectionneur) et l’interviewé (l’informateur), avec tous les silences, les hésitations, les inflexions de voix et les rires. Ainsi, les historiens et les folkloristes ne sont pas dépendants des seules notes de l’intervieweur et de ses transcriptions. Cependant, ces notes et ces transcriptions sont aussi nécessaires. Elles informent sur les circonstances de l’entrevue (la date, l’heure, l’endroit, les personnes présentes, etc.) et fournissent de l’information biographique sur les informateurs. Les transcriptions permettent de comprendre ce que disent les informateurs lorsque leur accent ou dialecte ne sont pas très familiers à l’historien. C’est le cas de presque tous les extraits d’entrevues compris dans ce site Web. Les entrevues faites dans les années 1970 par le Centre Acadien de l’université Sainte-Anne conservent les témoignages de très vieux résidents de Clare, nés au XIXe siècle pour la plupart, qui parlent le dialecte le plus ancien de la région, l’acadjonne. Pour une personne qui parle un français plus « standard », la compréhension de ses entrevues peut s’avérer difficile. Voici pourquoi les auteures de ce site Web ont transcrit ces entrevues elles-mêmes et en ont fait une adaptation en français standard.
Les autres entrevues conservées ici n’ont pas été transcrites selon les mêmes techniques que celles employées par les auteures de ce site et vous verrez que les techniques de transcription diffèrent beaucoup. Alors que nous favorisions une transcription verbatim (c’est-à-dire mot pour mot, avec emphase sur la prononciation et l’accent), d’autres préfèrent une transcription avec un certain niveau d’interpolation et de standardisation des termes qui élimine une part de l’oralité du texte original. Enfin, d’autres encore ne transcrivent pas du tout l’entrevue, mais plutôt la résument, la synthétisent, pour ne garder que l’information pure, sans aucune trace de l’oralité originale.
Il va sans dire que l’historien qui analyse des entrevues ou de l’histoire orale doit employer toutes les techniques de critique de source à sa disposition pour analyser non seulement ce que disent les informateurs, mais comment leurs propos ont été transcrits. Les personnes qui sont interviewées ont peut-être menti. Ils ont peut-être caché des détails qu’ils trouvent embarrassants ou honteux. Ils ont peut-être aussi exagéré, ou tout simplement oublié, les détails des événements ou des traditions qu’ils décrivent. Dans le cas des entrevues présentées ici, ces personnes âgées racontent des événements qui se sont passés pendant leur petite enfance. L’âge, le temps et tout ce que l’on leur a raconté ont sûrement émoussé leurs souvenirs après plusieurs décennies. Ce que ces personnes disent dépendant aussi des questions des collectionneurs. Ils ont parlé sur ce quoi on leur a posé des questions.